La mission d’ACTION ENFANCE est d’accueillir, de protéger et d’éduquer des frères et sœurs séparés de leurs parents. Ainsi, à la Fondation, la prévention se superpose à la protection pour offrir aux enfants et aux adolescents, comme aux équipes éducatives qui prennent soin d’eux avec bienveillance, les meilleures conditions de vie possible, ensemble.
Parler de prévention à la Fondation c’est ouvrir un grand livre, tant le sujet est vaste et les réflexions ainsi que les initiatives menées ces dernières années nombreuses. Face aux risques de maltraitance institutionnelle, d’échec scolaire, d’évolution vers la délinquance, de prostitution, d’isolement à la majorité qui pourraient découler de leur histoire… comment la Fondation peut-elle être un acteur de prévention pour les enfants et les adultes qui les accompagnent ? Cette question fondamentale trouve un ancrage dans le projet même de la Fondation et anime la démarche d’amélioration continue mise en œuvre au bénéfice des Villages d’Enfants et d’Adolescents. La prévention relève d’abord de l’accompagnement éducatif au quotidien. « Au-delà de la dimension première de protection et de reconstruction des enfants qui nous sont confiés, notre mode d’accueil et d’accompagnement est entièrement tourné vers la prévention, estime Corinne Guidat, directrice Innovation, appui et qualité (DIAQ) d’ACTION ENFANCE. Les frères et soeurs sont accueillis dans de petites maisons qui constituent un cadre de vie très rassurant, il existe une grande proximité entre les équipes éducatives et les enfants que nous connaissons bien et que nous observons beaucoup… Tout cela forme, par définition, des éléments de prévention qui permettent aux enfants d’acquérir plus d’autonomie, une meilleure estime d’eux-mêmes et une base de sécurité pour avancer. » Mais face à des enfants et adolescents en situation plus complexe que la population générale, du fait de leur histoire et de leurs traumatismes, la prévention est renforcée sur de multiples versants.
Prendre en compte la parole des enfants et des jeunes gens accueillis dans les Villages ACTION ENFANCE, leur permettre de dire ce qu’ils veulent et ne veulent pas, les autoriser à faire des propositions, c’est leur reconnaître et les aider à développer des compétences psychosociales déterminantes pour leur santé et leur bien-être. Cette écoute est quotidienne, spontanée et individuelle. « La manière dont les éducateurs adaptent leur posture en permanence, travaillent en équipe pour partager ce qu’ils observent des enfants et s’ajuster, tout cela crée une relation de confiance avec les enfants, qui les porte. Ils n’ont pas peur d’être jugés», poursuit Corinne Guidat. Cette écoute est aussi collective, à l’occasion de différentes instances plus ou moins formelles comme les réunions par maisonnée, les conseils de vie sociale ou l’autoévaluation des équipes des Villages. « Dans le cadre de la démarche d’amélioration continue, nous expliquons, à hauteur d’enfant, que nous venons les rencontrer pour voir comment se déroule la vie au Village, pour leur parler et surtout les écouter, explique Angélique Navet, responsable de projets DIAQ et du dispositif AGILE de la Fondation. Les enfants apprécient. Nous voyons bien, à leurs réactions authentiques, qu’ils se sentent bien dans leur Village. » L’élaboration du Projet personnalisé de l’enfant permet de définir dans quelle direction on veut emmener l’enfant et d’entendre vers où l’enfant souhaite aller. Réalisé en équipe, ce document apporte de la cohérence et de la cohésion, évitant les dérives que l’on pourrait imaginer si un/e éducateur/rice décidait d’avancer seul-e sur un objectif concernant l’enfant. «Travailler le projet personnalisé de l’enfant avec les psychologues et chef de service pose de sérieux garde-fous », reprend la directrice de la DIAQ. L’ouverture vers l’extérieur, la mise en place de partenariats, le parrainage sont aussi parce qu’ils contribuent à la constitution de liens en dehors du Village – des éléments de prévention. Par ailleurs, ACTION ENFANCE développe des dispositifs spécifiques, particulièrement pertinents pour prévenir les risques de ruptures de parcours, d’isolement ou de déclassement social. Par exemple, le dispositif AGILE propose des séjours de répit à des enfants et adolescents dont le mal-être nécessite de prendre de la distance avec le Village qui les accueille. Hors les murs, ils rencontrent des personnes qui ne sont pas liées à leur placement, vivent de nouvelles expériences dans une idée de voyage, de découverte de nouveaux horizons. Ces séjours peuvent durer 8 à 10 jours, en individuel ou en petit groupe. Autre exemple, le dispositif d’après placement ACTION+ procure un accompagnement personnalisé aux personnes ayant été accueillies par la Fondation, à tout moment de leur vie, en apportant un soutien matériel et/ou psychologique dont le but principal est de remobiliser les compétences psychosociales. Ce sont là des outils majeurs de prévention.
Je l’observe depuis vingt-cinq ans que je suis administratrice, ACTION ENFANCE répond à la complexification de son métier par un accompagnement de plus en plus structuré auprès de ses équipes. Ce qui est essentiel pour réduire les risques et amener les enfants qui nous sont confiés à s’insérer le mieux possible dans la société. La Fondation agit par anticipation dans bien des domaines. La formation des éducatrices/teurs familiaux les outille pour notre modèle d’accueil. Le travail en équipe et l’analyse des pratiques concourent à installer un climat de bientraitance. Au cœur de l’accompagnement des enfants, la bienveillance, a pour but de leur (re)donner confiance, pour leur permettre de devenir des adultes autonomes et épanouis. C’est tout le sens du parcours éducatif qui étaye leur chemin de vie depuis le Village d’Enfants et d’Adolescents jusqu’à ACTION+. Nous sommes bien sûr acteurs de prévention. Par le soin que nous apportons au recrutement des personnels qui seront au contact des enfants. Par des temps d’intégration longs des éducateurs. Par la démarche qualité et notamment les autoévaluations. Soucieuse de protéger les enfants et les jeunes fragilisés par leur histoire, la Fondation agit sur des axes de prévention qui me paraissent essentiels : la santé et le soin – y compris la santé mentale, la drogue et les addictions, la vie sexuelle et la prostitution. Le Comité d’éthique qui s’est mis en place contribuera également à enrichir la démarche de bientraitance.
La bientraitance est au cœur de la vision d’ACTION ENFANCE concernant l’accompagnement des enfants qui lui sont confiés. « Déployer une démarche de bientraitance auprès des enfants et des adolescents que l’on accueille, c’est être respectueux de leur histoire, de leur personnalité, de leurs besoins », souligne Corinne Guidat. Être bien traitant, ce n’est pas uniquement éviter de mal traiter. La bientraitance est un concept qui recouvre la personnalisation de l’accompagnement, la prise en compte de la parole de chacun, le travail sur la posture des professionnels. « Le concept de bientraitance a été renforcé dans les derniers textes législatifs de 2022, la positionnant en prévention de la maltraitance institutionnelle. Dans le cadre de la démarche qualité, nous insistons beaucoup sur cette notion de bientraitance. Elle est un des piliers de la formation des professionnels », précise Angélique Navet. Depuis 2020, la Fondation propose une formation aux éducatrices/teurs familiaux qui aborde, au gré de ses modules, différents volets de prévention. Elle intègre, depuis cette année, une thématique sur les compétences psychosociales – empathie, bien-être d’autrui, bienveillance – qui doivent faire partie du bagage de ces professionnels de l’enfance. Dans le cadre de son nouveau plan stratégique, ACTION ENFANCE a mis en place des laboratoires, espaces de réflexion animés par un directeur du siège et un directeur d’établissement et auxquels participent des personnels représentant tous les corps de métier. L’un de ces laboratoires, appelé « Vie relationnelle, affective et sexuelle », a été ouvert, afin que ce sujet ne soit plus abordé exclusivement lorsqu’il y a un problème. « Les enfants et les jeunes que nous accueillons ont souvent été victimes de violences sexuelles ou de comportements déviants. Face à des comportements parfois hypersexualisés, comment les éducateurs doivent-ils réagir ? Comment les aider à apporter une réponse appropriée, libérée de leurs propres représentations ? Les réflexions qui alimentent ce laboratoire nourrissent aussi plusieurs rubriques de notre formation d’éducatrices/teurs familiaux », indique Vincent Trugeon, responsable projets éducatifs à la DIAQ de la Fondation. La contribution d’ACTION ENFANCE au projet BOAT (voir interview du Dr Lacambre) permet d’aller plus loin en outillant les équipes éducatives. La BOAT (Boîte à outils de prévention des violences à caractère sexuel et/ou sexiste) est un ensemble de 134 fiches d’intervention positionnées en prévention primaire et universelle pour des enfants à partir de cinq ans. Sur la base d’activités ciblées, adaptées à chaque tranche d’âge, cet outil participe au développement des compétences psychosociales et affectives de l’enfant, sans jamais aborder de manière directe les violences sexuelles ou la sexualité. Son but : aider les professionnels de l’enfance à construire des interventions structurées de prévention des violences à caractère sexuel et sexiste. 56 collaborateurs de la Fondation ont été formés à l’animation d’ateliers de prévention BOAT et quatre d’entre eux sont agréés comme formateurs BOAT et pourront, à l’avenir, diffuser cette connaissance auprès de leurs collègues. Quentin Barbier, éducateur familial au Village d’Enfants et d’Adolescents de Pocé-sur-Cisse, est l’un d’eux. « Avec ma collègue, Mylène Godineau qui a également suivi la formation, nous avons tout de suite mis en place des ateliers avec un petit groupe d’enfants de cinq à sept ans. La manière d’animer la séance est clairement expliquée sur les fiches. Mais pour avoir plus d’impact, il me semble important de sensibiliser un maximum d’adultes. Nous avons ainsi consacré plusieurs matinées à aborder les sujets qui, aux yeux de nos collègues, semblaient les plus congruents pour les enfants. Cela a permis de s’entraîner sur les fiches et de créer une bonne cohésion au sein de l’équipe. On a pu voir également que l’on n’est pas seul face à ces problématiques, que l’on a des outils et qu’en parler entre nous permet d’alléger la charge mentale. »
Quel regard portez-vous sur la décision d’ACTION ENFANCE de créer un Comité d’éthique ?
Le Comité d’éthique, mis en place par ACTION ENFANCE, se compose d’une vingtaine de membres représentant tous les métiers de la Fondation et pas seulement les équipes éducatives. Cette décision est, pour moi qui vois fonctionner beaucoup de structures associatives ou départementales en Protection de l’enfance, le signe d’une volonté de « penser les pratiques » tous ensemble. Les équipes éducatives rencontrent de nombreuses situations singulières dont la réponse ne dépend pas uniquement de savoirs ou de techniques. Pour le philosophe Paul Ricoeur : « Le juste se tient entre le légal et le bon ». Dans un Comité d’éthique, on essaie de trouver la réponse la plus juste possible. Celle-ci est rarement écrite dans le Code civil ou dans quelque ouvrage que ce soit. Les professionnels ont beau être formés à l’accompagnement d’enfants et d’adolescents, il survient toujours dans la réalité des situations où se posent des conflits de valeurs. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’une réflexion éthique ne peut se mener qu’en groupe, faute de quoi on est renvoyé à ses propres représentations, sa culture, sa religion, ses principes moraux. De plus, la réflexion collective ajoute la dimension institutionnelle qui est une composante importante de la démarche éthique. Enfin, il n’existe pas d’éthique sans délibération, c’est-à-dire sans étude avec authenticité d’arguments contraires.
Parfois, les situations rencontrées avec les enfants, les jeunes et les familles, les contraintes des uns, les comportements des autres interrogent, voire mettent à mal, les valeurs personnelles des équipes éducatives ou leurs pratiques professionnelles. Les outils qu’ACTION ENFANCE met à leur disposition – réunions d’équipes, analyse des pratiques, formations – ne sont pas toujours suffisants pour résoudre ces problématiques et aligner les postures avec les choix des enfants ou de leurs parents. C’est là qu’intervient le Comité d’éthique de la Fondation, créé début 2024. Composé de quatre collèges représentant l’éducatif, l’administratif/logistique, la santé/le soin et les cadres, il est riche d’une pluralité de visions, d’expériences, de cultures. « Dans les situations vécues par les éducatrices/teurs familiaux, il y a toujours des moments de conflit de valeurs. Des moments où ils doivent parvenir à faire la part des choses entre leur vie privée, leurs habitudes, leur religion, leurs représentations, leurs connaissances, et l’attitude professionnelle à avoir. Ces questions sont complexes », note Vincent Trugeon. Elles nécessitent de réfléchir, délibérer pour savoir quelle option est sinon la meilleure, du moins celle qu’à titre individuel et collectif on est le plus à même d’assumer parce qu’elle paraît répondre aux besoins de l’enfant. Les saisines sont soumises au Comité d’éthique par les professionnels des Villages. Elles soulèvent des thématiques complexes, relatives notamment à la pratique religieuse, la vie intime, la sexualité, la relation avec les parents dès lors que ces sujets sont sources de tension entre ce qui est légalement établi et ce que l’on estimerait être juste. Chacune de ces situations est analysée au prisme de l’expérience et des avis de la vingtaine de membres du Comité. « Dans un Comité d’éthique, on essaie de trouver la ligne la plus juste et assumable possible par les équipes de la Fondation et par les enfants et les jeunes sur le long terme. En cela, la création de cet organe s’inscrit éminemment dans la prévention », conclut Corinne Guidat.