Pour gagner en autonomie et s’insérer pleinement dans la société, il faut disposer de ressources financières mais surtout savoir qui l’on est et être en capacité d’établir des relations sociales. La Fondation ACTION ENFANCE considère qu’il est fondamental de favoriser la constitution d’un capital social chez les enfants et les jeunes qui lui sont confiés.
« Pour un enfant placé, l’injonction à l’autonomie se résume encore trop souvent à son insertion professionnelle : trouver un travail qui lui permettra de subvenir à ses besoins. Mais si ce n’est pas étayé par un entourage amical, des relations sociales, une connaissance des dispositifs de droit commun, cela ne tient pas sur le long terme », constate Cécile Croza, référente ACTION+, le dispositif d’accompagnement à l’autonomie des jeunes sortis des établissements d’ACTION ENFANCE. Or, le placement a tendance à isoler et beaucoup de jeunes majeurs, au sortir de l’institution, ont un réseau très peu étendu de personnes sur lesquelles ils peuvent compter pour leur apporter un appui moral, un soutien matériel ou logistique. Les raisons, multiples, méritaient d’être analysées. « Et si le capital social acquis durant l’enfance était la clé de l’autonomie des jeunes adultes sortant de l’Aide sociale à l’enfance ? », c’est sous ce titre qu’ont été publiés les premiers résultats de la recherche-action menée par les sociologues Aude Kerivel, Patrick Dubéchot, Volha Vysotskaya, Samuel James et Cyril Dheilly, à l’initiative d’ACTION ENFANCE.
Avant toutes choses, qu’est-ce que le capital social ? « Nous utilisons la notion de capital social telle que définie par Pierre Bourdieu et James Coleman, explique Aude Kerivel. Le capital social comprend les liens sociaux mais surtout l’appui que ces liens sociaux représentent pour aider à la constitution, en parallèle, des capitaux culturel (diplômes, connaissances), économique (ressources financières, patrimoine) et symbolique (reconnaissance sociale). Ces atouts que chaque adulte mobilise dans sa vie quotidienne pour, concrètement, obtenir un emploi ou un logement, pouvoir être aidé en cas de difficultés, trouver sa place dans la société, ne pas être isolé. »
Cette recherche-action s’inscrit dans la continuité de l’étude sur le devenir des enfants placés en Village d’Enfants et d’Adolescents (Que sont-ils devenus ?). Celle-ci avait amené les chercheurs et la Fondation à formuler l’hypothèse que les jeunes ayant tissé des liens forts avec des personnes rencontrées au cours de leur vie s’en sortent mieux que ceux qui sont dépourvus de ce capital social. En cherchant à objectiver et à évaluer les liens sociaux des enfants et des jeunes avec des pairs ou des adultes mais aussi leur capacité à créer des liens (leur habileté sociale), cette nouvelle étude sociologique constitue une réelle avancée en termes de connaissances. Elle produit également des outils – sociogrammes, fiches-actions – dont les professionnels d’ACTION ENFANCE peuvent se saisir pour enrichir les possibilités de liens extérieurs.
En facilitant les sorties chez des amis, en permettant de faire les activités qui leur plaisent, on crée chez les jeunes des bulles d’oxygène qui leur permettent de mieux accepter le placement. Au jour le jour, ce capital social est une source d’épanouissement.
L’ouverture vers l’extérieur est une priorité de la Fondation. L’accès à la culture au travers du Prix Littéraire ou d’« ACTION ENFANCE fait son cinéma », l’importance accordée à la scolarité, à la formation, aux études ; le maintien des liens avec la fratrie mais aussi avec les parents, quand c’est possible, en sont autant de preuves. Mais créer des liens solides et pérennes avec des personnes (enfants et adultes) à l’extérieur de l’institution n’est pas si simple. « Outre les histoires et situations personnelles, les entretiens ont montré à quel point les amitiés d’école se font dans les interstices que sont les récréations ou encore le chemin entre l’école et la maison », souligne la sociologue. On y apprend aussi que les liens commencent à se nouer la deuxième année d’une pratique sportive ou culturelle.
« Il y a des choses que nous ne pouvons pas faire alors qu’elles sont “normales” au sein d’une famille, parce que la protection autour de nous, enfants placés, est plus accentuée », témoigne Yassine Barakat, qui a participé à la recherche-action en tant qu’ancien enfant placé. Des choses aussi basiques que de goûter chez un camarade de classe, d’aller à un entraînement sportif avec les parents d’un coéquipier ou le coach, de se rendre à un anniversaire et retourner l’invitation ont longtemps été perçues comme difficiles à mettre en place par les éducatrices/teurs familiaux – et de fait, par les enfants. « Quand aller jouer l’après-midi chez un ami nécessitait d’obtenir une copie de la pièce d’identité et une attestation sur l’honneur de la part des parents qui recevaient, il est clair que cela créait une barrière, explique Timmy Raulin, éducateur familial au Village d’Enfants et d’Adolescents de Bréviandes. Pour éviter cette humiliation, les enfants préféraient dire qu’ils ne pouvaient pas. » Très regrettable.
Quand on vit en cachant une partie de son identité, en raison de son histoire familiale et du placement, c’est compliqué d’être dans une relation authentique à l’autre. Difficile dans ces conditions de se faire de vrais amis, des gens sur qui on pourra réellement compter dans la tempête.
Pour Lucas, 10 ans, cette recherche-action a vraiment permis de faire bouger les choses. « Lucas a trois entraînements par semaine et un match de foot le week-end. Jusqu’à présent, il était accompagné par un éducateur familial, pas toujours le même. Nous avons pris conscience du frein que cela pouvait constituer. Nous sommes entrés en contact avec les parents des enfants du club, j’ai maintenant le numéro de téléphone de plusieurs d’entre eux. Il nous arrive de ramener un ami de Lucas chez lui. J’ai pu prendre un café avec le père du camarade. Depuis, il est régulièrement invité à l’anniversaire de ses coéquipiers. Sans que ce soit interdit, cela ne se faisait pas au Village avant le lancement de la recherche-action », témoigne Timmy.
Les invitations aux anniversaires reviennent dans tous les échanges relatifs au capital social. Elles sont, avec les activités extrascolaires, les plus pourvoyeuses de capital social.
Le déficit de capital social chez les jeunes issus de la Protection de l’enfance représente clairement un obstacle à la réalisation de leurs projets. Souvent, le sentiment d’insécurité et le manque de confiance en soi perdurent chez ces jeunes gens. Un grand nombre d’entre eux vivent avec l’idée qu’ils seront toujours en difficulté et attendent encore beaucoup de soutien de la part des adultes.
Retrouvez l’article complet dans notre magazine Grandir Ensemble n°109, p.4