À considérer les onze appels à projets émis par les Départements ces deux dernières années, le placement de fratries en petites unités de vie a le vent en poupe. Le modèle d’accueil de type familial, proposé par ACTION ENFANCE depuis ses origines, dans des maisons de Villages d’Enfants et d’Adolescents, est de plus en plus apprécié. Voyons pourquoi.
« Situé dans un lieu calme, l’accueil collectif prendra la forme de petites unités de vie reconstituant l’atmosphère d’une maison, organisées autour du partage de la vie quotidienne, avec notamment une cuisine pour favoriser la préparation de repas en commun. (…) Les enfants participeront à l’ensemble des tâches quotidiennes en lien avec les adultes référents. Les unités ne devront pas dépasser 6 à 8 enfants sauf dérogation (…). La répartition des enfants par unité se fera par âges, sans pour autant figer les tranches d’âge, notamment pour permettre qu’une fratrie puisse vivre sur un même groupe, au quotidien ou sur certains moments. » Cet extrait de l’appel à projet émis par un Conseil départemental pour la création d’un établissement d’une soixantaine de places est représentatif des structures que les Départements souhaitent aujourd’hui développer pour accueillir les enfants placés. Les principes clés qui sous-tendent ces demandes sont de respecter « projet de l’enfant » et « parcours de vie ». Mais qu’est-ce qui incite les Départements à prendre cette orientation ?
Pour Marc Chabant, directeur du Développement d’ACTION ENFANCE, plusieurs facteurs expliquent cet intérêt accru pour l’accueil de fratries en petites unités. Le système de Protection de l’enfance, repensé dans les années 70, pose le placement provisoire comme postulat afin de préserver l’enfant du danger immédiat. « Dans l’imaginaire collectif, il appartient aux parents d’éduquer leurs enfants. Donc, s’il y a danger, les enfants sont retirés de la sphère familiale, mais cette séquence est prévue pour être de courte durée. Toute la Protection de l’enfance est construite sur le placement court et la perspective du retour en famille. Cela a été la doxa pendant 25 ans, déniant aux professionnels la possibilité, le droit de créer de l’attachement – puisque les personnes auxquelles les enfants doivent s’attacher, ce sont leurs parents. Or il y a clairement deux grands ensembles de situations : celles qui, effectivement, sont temporaires, conjoncturelles et permettront aux enfants de rentrer chez eux dès que le/les parent(s) auront surmonté leurs difficultés, et celles où les défaillances parentales sont structurelles, et dont on doit envisager que les enfants ne retourneront pas ou très tardivement dans leur famille, ce qui n’exclut ni le lien, ni la relation. Celles-là nécessitent un mode d’accueil de type familial, très éloigné des internats classiques. » C’est cette vision de l’accueil en Protection de l’enfance, un accueil d’enfants issus d’une même famille, sur le long terme, aux côtés d’une équipe éducative stable, sur un modèle à mi-chemin entre la famille d’accueil et la MECS(1), que veulent concrétiser aujourd’hui les Départements. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à manifester leur intérêt pour le mode d’accueil d’ACTION ENFANCE.
La préservation des liens fraternels dans le cadre d’un placement est revenue en force dans les textes de loi(2). Les recherches sur le capital social l’ont démontré : les frères et sœurs seront bien souvent les seules personnes sur qui ces enfants et jeunes pourront compter leur vie durant. La volonté d’éviter la « double peine » progresse : il ne faut pas que la séparation des frères et sœurs s’ajoute au traumatisme de la séparation d’avec leurs parents. « Si une grande partie des placements sont effectivement – et heureusement – de courte durée, on ne peut ignorer que certaines situations ne permettront pas de retour en famille. C’est globalement le cas pour 60 à 70 % des enfants que nous accueillons dans nos Villages », précise Marc Chabant. En quoi les Villages d’Enfants et d’Adolescents répondent-ils mieux que d’autres modalités d’accueil à cette problématique ? En offrant aux enfants et aux adolescents un quotidien qui ressemble à celui d’une famille, avec des maisons à taille humaine où chacun a sa chambre, avec une cuisine pour préparer les repas pris ensemble, avec des éducatrices et des éducateurs familiaux professionnels et engagés, présents jour et nuit, à l’écoute des besoins de chacun. En offrant un cadre de vie stable où l’enfant se sent protégé, aimé, valorisé pour bien grandir aux côtés de ses frères et sœurs.
Notre modèle d’accueil fonctionne et intéresse les Départements. Notre offre s’adapte à leurs besoins spécifiques et nous travaillons ensemble, pour le bien des enfants, dans une logique de parcours.
Autre dimension qui émerge fortement dans le travail social et qui fait évoluer la Protection de l’enfance : les questions de la relation et de l’attachement. Dans ce domaine, les avancées sont notables. « Lorsque l’on prend conscience que Justine, Théo et Marie-Louise, qui ont été accueillis dans le Village dès leur plus jeune âge, bénéficieront d’une mesure de protection jusqu’à leurs 18 ans, il faut évidemment leur permettre de créer des liens d’attachement avec les adultes qui prennent soin d’eux. À qui d’autres pourraient-ils s’attacher ? Et comment grandir sans attachement sécure ? », poursuit Marc Chabant. La réalité est que lorsque l’on accueille sur le long terme dans des dispositifs pensés pour des placements courts, on risque de produire de « l’incasabilité ». C’est à- dire des parcours dépourvus de stabilité émotionnelle, émaillés de ruptures. A contrario, des enfants accueillis quelques mois dans des dispositifs pensés pour des placements longs pourraient se retrouver en conflit de loyauté. Ce qui renvoie au diagnostic de la situation familiale, un sujet toujours délicat pour les travailleurs sociaux.
Veiller à la sécurité physique et affective des plus petits et prendre en compte leurs besoins de sécurisation dans la stabilité, accompagner les besoins d’individualisation et développer les compétences vers l’autonomie des plus grands sont autant de points d’attention qui doivent jalonner le parcours de placement au sein d’un même Village.
« Mettre en place un accompagnement éducatif spécifique à l’ensemble de la fratrie, quel que soit l’âge des enfants, sur un site dédié à partir duquel s’articulent les prises en charges » est l’un des objectifs du Finistère, département dans lequel ACTION ENFANCE a remporté un appel à projets fin 2022. L’évolution récente de la dénomination des Villages d’Enfants de la Fondation en Villages d’Enfants et d’Adolescents témoigne de cette volonté de parcours sans rupture : en Indre-et-Loire, le Relais Jeunes Touraine a intégré le Village d’Enfants et d’Adolescents d’Amboise ; en Seine-et-Marne, le Village de Boissettes et le Foyer d’Adolescents de La Passerelle ont fusionné pour former le Village de La Boisserelle ; dans l’Essonne, le Foyer d’Adolescents Le Phare s’est rattaché au Village de Ballancourt. Unité de direction, unité d’établissement pour permettre aux petits et grands d’évoluer sans rupture au sein de dispositifs adaptés à leurs besoins.
« À Amboise, sous une même direction, l’établissement est organisé en trois services : le Village, le SAE (Service d’accompagnement éducatif) et le SAR (Service d’accompagnement renforcé). Les six maisons du Village accueillent six enfants chacune, trois maisons transformées en cinq appartements accueillent un à quatre adolescents, six studios situés dans les centres-villes d’Amboise et de Tours accueillent six jeunes majeurs et une maison du centre d’Amboise accueille six enfants et adolescents aux situations complexes. Depuis cette restructuration, il y a trois ans, on observe que les adolescents restent plus volontiers au Village. Cette continuité d’accueil permet d’offrir aux enfants le confort de la stabilité et autorise l’attachement. C’est très positif », analyse Michel Delalande, directeur du Village d’Enfants et d’Adolescents d’Amboise.
60 à 70 % des enfants que nous accueillons auront, à leur sortie de placement, passé plus de la moitié de leur vie au Village. Garantir la stabilité de leur parcours, leur permettre de vivre des moments de vie ordinaire, les soutenir même lorsqu’ils sont en crise, c’est la mission d’ACTION ENFANCE.
La prise en compte de la relation avec les parents participe de cette même logique de parcours sans rupture. Pour ce faire, la Fondation a mis en place quatre services de Placement à domicile (PEAD) à Bar-le-Duc, Pocé-sur-Cisse, Villabé et Clairefontaine. Elle facilite également l’exercice des droits de visite et d’hébergement des parents avec des espaces parents-enfants permettant des moments de partage accompagnés ou médiatisés telle la MAPES à Melun. « Certains enfants ne verront peut-être plus leurs parents qu’à l’occasion de visites médiatisées. Il n’empêche qu’ils seront toujours leurs parents. Il est possible d’allier accueil et préservation d’une vie de famille. Nous les aidons à recréer du lien, à être ensemble autrement », souligne Élisabeth Héard, directrice du Village d’Enfants et d’Adolescents de Clairefontaine.
La capacité à proposer un accompagnement adapté aux besoins spécifiques des enfants et des jeunes à un moment donné de leur parcours est également un axe auquel les Départements sont de plus en plus attentifs. La nécessité de prendre en compte ce que l’on désigne parfois comme des situations complexes, des situations de crise, se traduit dans l’appel à projets du Conseil départemental de la Vendée sous cette forme : « la possibilité de déplacer provisoirement un jeune afin de lui permettre de s’apaiser, d’apaiser la maisonnée tout en maintenant la continuité de l’accueil ». C’est aussi ce que déploie la Fondation en Indre-et-Loire, avec le Service d’accompagnement renforcé (SAR) réparti entre les Villages d’Enfants et d’Adolescents d’Amboise et de Pocé-sur-Cisse. Avec ses fondamentaux solides mais aussi sa capacité à innover et expérimenter de nouveaux modes d’accueil, ACTION ENFANCE présente une réponse adaptée aux nouveaux appels à projets départementaux, promesse d’un continuum dans l’accompagnement des enfants et de leurs besoins.
(1) Maison d’enfants à caractère social
(2) loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants qui mentionne l’interdiction de séparer les fratries sauf si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant