Le besoin d’identité est fondamental chez l’enfant et constitue l’un des enjeux majeurs de son développement et de la construction de l’estime de soi. Pour se bâtir une identité personnelle et singulière, l’enfant doit pouvoir s’inscrire dans une filiation et une lignée générationnelle. C’est tout le sens du travail des équipes éducatives et des psychologues de la Fondation qui s’emploient à faire vivre l’histoire familiale et à maintenir, dans toute la mesure du possible, le lien avec les parents ou la famille élargie.
Nous avons tous une identité propre, qui fait de nous des êtres uniques. Identité individuelle qui se caractérise par nos valeurs, notre caractère, nos goûts. Identité d’appartenance qui nous relie à un peuple, une famille, un cercle amical. Identité culturelle et professionnelle, qui nous inscrit dans un environnement social… « Le besoin d’identité renvoie à la capacité à accéder à la conscience de soi comme sujet individué pluridimensionnel. Il se joue également à travers les possibilités d’appartenance et d’affiliation de l’enfant à son groupe familial d’une part, à des groupes de pairs d’autre part », note-t-on dans le rapport sur les besoins fondamentaux de l’enfant en Protection de l’enfance.
Pour se construire, l’enfant a besoin de connaître ses origines et de comprendre sa place dans l’histoire familiale. Entre 4 et 5 ans, il se pose déjà ces questions. « Chacun porte consciemment ou inconsciemment l’histoire des générations précédentes, rappelle Marion Beaumé, psychologue au Village d’Enfants et d’Adolescents de Sablons. Connaître l’histoire de ses parents et de ses ancêtres aide l’enfant à s’ancrer dans ses racines, à savoir qu’il n’est pas un être isolé. » Histoire et identité sont indissociables. Mais l’identité doit faire l’objet d’une appropriation subjective, longue et aléatoire qui se consolide vers la fin de l’adolescence. Pour les enfants placés, l’étape est loin d’être évidente.
« Souvent, les enfants que nous accueillons sont confus sur leur histoire familiale. Parfois en raison de non-dits, de récits contradictoires, de secrets de famille. Parfois parce que les lignées sont complexes. Ils restent dans des questionnements qui les empêchent de grandir », poursuit Marion Beaumé. Dans les Villages d’Enfants et d’Adolescents de la Fondation, la question de l’identité est travaillée d’entrée de jeu. « L’enfant doit comprendre les raisons de son placement. Les représentations qu’il se fait de ses parents sont souvent faussées, les difficultés ayant mené au placement généralement minorées. Il nous appartient d’objectiver les faits, de l’aider à avoir une image plus conforme à la réalité », explique Corinne Guidat, directrice Innovation, appui et qualité de la Fondation. Frères et sœurs ont souvent une vision différente de leurs parents, certains sont très critiques, d’autres très protecteurs, selon leur histoire, leur place dans la fratrie… Or c’est cet univers qui nourrit l’identité que l’on se construit.
Généralement, le déclic se produit à l’adolescence. Le jeune souhaiterait retourner en famille et ne discerne pas, ou plus, ce que l’on reproche à ses parents. Ou bien encore, il attend que ses parents lui proposent de rentrer, mais ces derniers ne font pas la démarche de le reprendre à la maison. Après le déni et la colère, il finit par comprendre qui sont vraiment ses parents – avec leurs qualités et leurs incapacités – ce qu’il peut attendre d’eux ou pas… et enfin passer à autre chose. « Les placements longs – qui concernent la plupart des enfants accueillis à la Fondation – sont le signe de difficultés importantes au sein des familles. C’est à nous, éducateurs, d’aider chaque enfant à grandir en sachant que son père ou sa mère est violent ou toxique, de lui apprendre à s’en protéger mentalement. Que le retour à domicile soit envisageable ou non, il faut se poser la question du maintien du lien », complète Corinne Guidat.
Même quand les relations avec les parents sont tendues et difficiles, nous cherchons à faire une alliance avec eux pour le bien de leurs enfants. Comprendre qui sont vraiment ses parents est indispensable pour grandir.
La grande majorité des parents sont coopératifs et comprennent l’intérêt du placement pour leurs enfants. Comme cette mère qui aime ses enfants mais se sait incapable de prendre soin d’eux ; elle leur dit qu’ils sont mieux au Village que chez elle. Parfois, en revanche, les relations sont très tendues et complexes comme c’est le cas pour ces parents qui s’opposent au placement. Les visites et les appels téléphoniques sont alors encadrés par les éducateurs.
« Parfois, les propos dérapent, les parents se disputent, hurlent. Dans cette situation inadaptée, nous stoppons l’appel ou la visite et mettons les enfants à l’écart. Un enfant pense toujours qu’il est responsable ou coupable de la situation. Il est important de ne pas laisser ces dérapages verbaux et ces conflits sans explication », explique Bruno, éducateur familial qui accompagne le quotidien des deux enfants âgés de 8 et 12 ans. Pour autant, les parents conservent une relation extrêmement forte avec leurs enfants. L’aîné a conscience de la situation. Le plus jeune est encore dans l’utopie, tout en étant conscient des raisons de son placement. Leurs éducatrices/teurs familiaux prennent soin de ces relations, malgré tout. « Nous cherchons à faire alliance avec les parents, pour le bien de leurs enfants. »
Il existe de multiples manières d’entretenir le lien avec les parents. Toujours prévues dans l’ordonnance de placement délivrée par le juge, elles sont au cœur du projet personnalisé de l’enfant. La panoplie est large, de la visite libre à de simples appels téléphoniques, en passant par des visites encadrées ou médiatisées, des droits d’hébergement, etc. Les détails de l’organisation de ces relations sont consignés dans le document individuel de prise en charge (DIPC), établi avec les parents au début du placement.
Les professionnels des Villages d’Enfants et d’Adolescents s’attachent à différencier la relation avec la famille du travail avec la famille. Les éducatrices/teurs familiaux font vivre le lien au quotidien avec la famille. Ce sont eux qui assurent les communications téléphoniques entre les enfants et leurs parents, selon l’agenda préconisé par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui organisent les visites et les hébergements. Les parents conservant l’autorité parentale, les éducatrices/teurs familiaux gèrent le quotidien de l’enfant en s’appuyant sur le référentiel des actes usuels et non usuels. Ce document, communiqué par le Département, liste les décisions qui seront prises par les établissements avec ou sans l’accord des parents.
Le travail avec l’enfant sur les raisons qui ont amené au placement et le soutien à la parentalité sont le plus souvent confiés au chef de service. En Indre-et-Loire, notamment, l’ASE a délégué expressément la gestion de la relation avec les parents à la direction des établissements. « Ce n’est donc pas l’éducateur qui est en première ligne avec les parents. Cette répartition des tâches permet de préserver l’enfant d’un éventuel conflit de loyauté qui pourrait s’instaurer en cas de discorde entre l’éducatrice/teur familial et ses parents », analyse Céline Mercier, chef de service au Village d’Enfants et d’Adolescents de Chinon.
Que l’on travaille en vue d’un retour en famille ou d’un placement long, les parents restent des acteurs très importants. Les intégrer à la vie de l’enfant aide à lui faire accepter qu’ils peuvent être dans l’incapacité de répondre à ses besoins du moment.
Force est de constater que les dysfonctionnements parentaux n’empêchent pas l’attachement. Bien au contraire, les enfants n’apprécieraient guère qu’un professionnel se permette de critiquer leurs parents. « Nous n’avons pas à juger. Notre rôle est de reconnaître les capacités des parents là où elles sont, de les soutenir et de les accompagner », précise Céline Mercier. Face à des parents en grande difficulté, les équipes éducatives cherchent la plus petite de leurs compétences, pour le bien de l’enfant. « Il faut s’appuyer sur ce qui marche, garder ce lien, capitaliser sur l’amour des parents – même s’il est parfois inadapté. Sinon, l’enfant lui-même se sentira incompétent, diminué. »
Parfois, les parents sont à même de développer les compétences qui leur manquaient. « Je pense à cette mère qui voudrait présenter son nouveau compagnon à ses enfants. Ces derniers ont des droits de visites libres. Pour l’accompagner dans cette étape, nous avons convenu que nous serons présents lors de l’annonce qu’elle fera aux enfants. » A contrario, il y a des situations où la résistance au placement est forte, sans remise en question de la part des parents sur ce qui a manqué ou ce qui a occasionné le placement. « C’est l’exemple de cet enfant atteint de toux chronique. Un tabagisme passif a été détecté à la radiographie, mais sa mère n’est pas en capacité de réaliser que fumer en sa présence détruit la santé de son fils. » Si la situation perdure, l’ASE pourra être amenée à modifier le programme de visites.
Le soutien à la parentalité peut également s’inscrire dans le cadre d’un placement à domicile (PEAD), un mode d’accompagnement qui se développe progressivement à la Fondation. Les Villages d’Enfants et d’Adolescents de Pocé-sur-Cisse, de Bar-le-Duc, et bientôt de Clairefontaine, disposent de ce service de placement éducatif à domicile. C’est l’éducateur qui se déplace lorsque l’enfant est présent chez ses parents. « Cela permet de voir où sont les conflits, les difficultés, de développer les compétences familiales en ce qui concerne, par exemple, l’hygiène, les repas, les devoirs ou le cadre éducatif… Le placement à domicile est un outil intéressant pour préparer un retour en famille ou éviter un placement en institution », conclut Corinne Guidat.
Retrouvez l’article complet dans notre magazine Grandir Ensemble n°110, p.4