La Protection de l’enfance vise à garantir les besoins fondamentaux de l’enfant, notamment en le protégeant de parents insécurisants, défaillants, voire violents. Quelle place doit-on accorder aux parents d’enfants placés ? Dans quel cadre et dans quels buts entretenir le lien ? Ces questions impliquent d’accompagner ce lien s’il est dans l’intérêt de l’enfant et d’aider chacun des parents à en comprendre l’enjeu et la manière de le vivre. C’est, pour ACTION ENFANCE, un axe de travail fondamental.
Pourquoi et comment entretenir le lien entre les enfants confiés à la Protection de l’enfance et leurs parents ? Il existe certainement autant de réponses que de situations. Mais pour les équipes de la Fondation, la question n’est jamais éludée. Comme le précise Claire Carbonaro, administratrice d’ACTION ENFANCE et juge des enfants au tribunal d’Auxerre entre 2000 et 2005 : « Quand la décision de placement est prise, il est essentiel du point de vue du juge que les parents y soient favorables afin que les enfants puissent s’installer dans nos Villages sans se penser déloyaux envers eux. Cela peut nécessiter un travail spécifique avec les parents pour qu’ils comprennent le sens et l’utilité de ce placement. »
Que la mesure s’annonce de courte durée ou préfigure un placement long, selon les motifs du placement, la nature des relations préexistantes ou encore en fonction de la santé mentale des parents, du degré d’acceptation du placement par les parents, la manière et les possibilités de travailler avec eux seront très différentes. « En tant que Fondation qui prend en compte les besoins fondamentaux des enfants, notre rôle est d’aider à identifier le lien, à le qualifier et, si possible, à l’évaluer et l’entretenir », souligne Corinne Guidat, directrice Innovation, Appui et Qualité d’ACTION ENFANCE.
Un grand nombre de parents bénéficient d’un droit de visite et/ou d’hébergement, ou l’obtiennent progressivement. « Dans l’ordonnance de placement, des objectifs sont assignés aux parents. Un suivi psychologique peut être prescrit, par exemple. Mais si le juge estime que les parents peuvent être en contact avec leur enfant, il nous appartient de rendre cela possible », explique Faride, éducateur familial au Village d’Enfants et d’Adolescents de Bréviandes, où un pôle famille a été constitué.
Les chefs de service organisent des rendez-vous mensuels avec chaque parent, tandis que la relation quotidienne est assurée par les éducatrices/teurs familiaux. « Pierre est au Village depuis neuf ans et nous travaillons en bonne intelligence avec sa mère. Même si je sais que nous avons son accord de principe pour l’inscrire à une activité ou pour l’emmener chez le coiffeur, je lui pose chaque fois la question de manière explicite. Si Pierre a un rendez-vous, elle essaie de se rendre disponible. Sinon, nous lui adressons un compte-rendu. Elle n’est pas capable de s’occuper de son fils au quotidien mais se montre très impliquée et c’est notre souhait qu’elle le reste », témoigne l’éducateur familial.
Quand la situation familiale le permet et qu’il n’y a pas de fort danger, nous devons prendre en compte les compétences des parents, et adapter notre travail avec eux pour construire un accompagnement positif, dans l’intérêt des enfants.
La situation n’est pas toujours aussi favorable. Certains parents disent systématiquement non à que ce les équipes essaient de mettre en œuvre. « Au départ, et surtout si le placement n’est pas accepté par les parents, ce travail est plus difficile à mettre en place. Il faut parfois du temps pour s’apprivoiser », poursuit Corinne Guidat qui constate que, dans la majorité des cas, les parents coopèrent. Affirmer la place de la famille, dès le processus d’admission au Village d’Enfants et d’Adolescents, est une bonne pratique. « On gagne un temps fou dans la prise en charge d’un enfant lorsque ses parents nous parlent de ses habitudes sur le plan alimentaire, du sommeil, de la scolarité, de la religion, de l’hygiène », estime-t-elle. De même, l’élaboration du projet personnalisé de l’enfant devrait être un moment privilégié pour associer les parents, qui peuvent donner leur avis et dire les ressources qu’ils mobiliseront de leur côté.
Face aux difficultés qu’ont certains parents à se déplacer, pour des raisons pratiques ou économiques, les éducatrices/teurs familiaux n’hésitent pas à aller les chercher à leur domicile ou à les retrouver à la gare la plus proche. Au quotidien, cela représente beaucoup d’organisation pour être facilitateurs de la relation. « Aller ensemble aux rencontres parents/professeurs, c’est, pour des parents qui ont pu être en échec scolaire, un véritable soutien. Les équipes éducatives font cela très bien. Mais il ne faut pas oublier la responsabilité des parents sur ce point : c’est à eux de dire ce dont ils ont besoin. Ce n’est pas acquis », relève Pascal Tual, psychologue au Village d’Enfants et d’Adolescents d’Amboise.
Les droits de visite et d’hébergement accordés par le juge sont évolutifs. Ils doivent aider les parents à exercer leur parentalité mais toujours dans l’intérêt de l’enfant. Cameron et son frère voient leur père deux ou trois fois par mois dans le cadre d’une visite encadrée. Avant le placement, ce dernier s’occupait peu de ses enfants. À présent, il semble vouloir investir ce rôle. « L’attente entre deux visites, c’est dur », dit ce père qui aimerait récupérer ses fils un jour. Avant la visite, le petit garçon avait préparé un cadeau. « Maman et Papa me manquent », dit-il.
Parfois, les relations ne sont que téléphoniques, en présence d’un éducateur qui aide à créer ces échanges. « Parmi les enfants accueillis dans les Villages, nous comptons chaque année 16 % de retours en famille (167 enfants pour 1 030 accueillis en 2022), ce qui représente la moitié des motifs de départ. Dans ces situations, un accompagnement soutenant de la famille s’impose. Un tel retour se prépare. Mais, parfois, le travail avec la famille consiste à essayer de faire comprendre à l’enfant qui sont ses parents, ce qui les unit ou pas, comment il peut compter sur eux ou pas », souligne Corinne Guidat. Parfois le travail s’arrêtera là.
La plupart des Villages d’Enfants et d’Adolescents mettent à disposition des lieux au sein même des établissements pour que les droits de visite puissent s’exercer dans les meilleures conditions. Parfois équipés d’une cuisine, ces espaces permettent même aux familles de partager un repas, avec ou sans la présence d’un/e éducateur/trice.
La Fondation a également des dispositifs d’accueil dédiés au lien parents-enfants qui permettent des moments de partage accompagnés ou médiatisés, tels la Maison d’accueil parents-enfants séparés (MAPES) à Melun ou l’Espace de rencontre parents-enfants (ERPE) à Amboise. Ouvert depuis plus de 15 ans, l’ERPE a comptabilisé quelque 750 visites en 2022. Il dispose de deux salles de visite. La petite, assez cosy, est plutôt destinée aux jeunes enfants, avec du mobilier, des jeux et jouets adaptés à leur âge. L’autre, prévue pour l’accueil de familles plus nombreuses, est meublée d’un salon, d’une table de salle à manger et propose des jeux de société. Une grande cuisine, dans laquelle il est également possible de prendre un repas, complète cet espace. La cour a été réaménagée pour offrir un coin de verdure et une terrasse.
« Notre mission première est de permettre la rencontre entre parents et enfants dans un lieu neutre et sécure, afin de rétablir, entretenir ou renforcer le lien. Nous pouvons avoir une fonction “régulatrice”, lorsque les propos ou les gestes ne sont pas appropriés, explique Chloé Donval, éducatrice à l’ERPE, médiatrice familiale de formation. Ensuite, notre rôle est de mettre les familles au travail, de travailler sur les compétences familiales – et c’est certainement cela le plus difficile. Cela dépend totalement de la volonté mais aussi des capacités psychiques et émotionnelles de chacun. » Parfois, une année d’accompagnement par l’ERPE suffit pour envisager un placement éducatif à domicile (PEAD), parfois au bout de dix ans, la situation ne sera toujours pas débloquée. « Nous collaborons étroitement avec les équipes d’Amboise et de Pocé-sur-Cisse, mais nous apportons un regard différent. Notre travail avec les parents est plus précis. Nos bilans de fin de mesure, distincts de ceux centrés sur l’évolution des enfants, valorisent les avancées concernant les liens parents-enfants et peuvent se traduire par des demandes d’évolution des droits parentaux. »
La confiance, ingrédient indispensable du travail avec les parents, est au cœur du Placement éducatif à domicile (PEAD). « Le PEAD est la mesure d’assistance éducative la plus encadrée avant le placement en institution. L’enfant confié à l’Aide sociale à l’enfance demeure chez ses parents et ce sont les éducatrices/teurs qui se déplacent à domicile. En cas de danger, l’enfant peut être orienté rapidement vers un de nos Villages », explique Stéphanie Portmann, ex-chef de service du PEAD et de l’ERPE rattachés au Village de Pocé-sur-Cisse. « Nous sommes deux éducatrices référentes par situation dans le cadre de l’accompagnement PEAD. Nous devons nous assurer que l’environnement familial permet à l’enfant d’évoluer sans éléments de danger », précise Angélique Chaumont, éducatrice PEAD.
Sans être présentes 24 h sur 24, les éducatrices/teurs interviennent au domicile deux à trois fois par semaine, à des horaires extrêmement variés qui permettent d’accompagner des moments clés de la journée : lever, départs à l’école, devoirs, repas, coucher… en fonction des besoins de l’enfant et des difficultés que les parents ont à gérer ces rituels. « Nous sommes au cœur de la famille. L’idée, c’est de faire équipe. Partant de la réalité de cette famille, notre objectif est de renforcer les compétences parentales, de les amener à pouvoir tout gérer sans nous. Notre attention est centrée sur le développement de l’enfant, afin qu’il évolue dans de bonnes conditions, au sein du foyer familial. Pour ce faire, nous parlons beaucoup avec les parents de leurs valeurs, de ce qu’il est important de transmettre à leurs enfants », complète sa collègue, Aurélie Jouanneau.
Avec le PEAD, nous sommes dans une logique de parcours. Nous travaillons étroitement avec les Villages d’Amboise et de Pocé, d’où proviennent les enfants ou vers lesquels ils seront orientés si la situation s’aggrave.
Le PEAD est particulièrement efficient lorsque les compétences parentales nécessitent d’être réactivées ou renforcées et/ou lorsque le placement en institution ne serait pas bénéfique aux enfants. Par exemple, dans le cas du primo-placement d’un adolescent. « Un primo-placement à cet âge pourrait, aggraver la situation. Nous intervenons pour aider les parents à se remobiliser sur les questions de la scolarité, du soin, mais aussi pour réfléchir au cadre posé et travailler les relations au sein de la famille », note Angélique Chaumont.
L’accompagnement d’un retour à domicile est également un des enjeux majeurs du PEAD. « Une part importante de notre travail consiste à redonner confiance aux parents dans leurs capacités parentales et à les aider à gérer leur(s) enfant(s) au quotidien », complète Aurélie Jouanneau. Permettre à l’enfant de grandir auprès de ses parents tant qu’il n’y a pas de danger direct et immédiat, c’est tout l’objectif de ce dispositif. ACTION ENFANCE dispose de quatre services de PEAD : en Indre-et-Loire, dans la Meuse, en Seine-et-Marne et dans l’Essonne.
Pour un enfant dont les parents n’ont pas de droits de visite ni d’hébergement, la manière d’entretenir le lien sera fondamentalement différente selon que ses parents ont des troubles psychiatriques qui les empêchent momentanément d’avoir des interactions avec leur enfant ou s’il y a eu maltraitance, violence ou inceste. Il peut être nécessaire de maintenir un lien symbolique, mais cela peut aussi être nocif et provoquer des récidives dramatiques. Si les liens sont pathologiques, il faut le cas échéant en préserver l’enfant. Ou encore, si les parents se désintéressent de leur enfant. Prenons le cas d’un père qui a un droit de visite encadré, mais ne vient pas neuf fois sur dix. Faut-il à toutes fins maintenir cette promesse et faire revivre à l’enfant son abandon ? D’autres fois, les parents sont capables de s’occuper de leur enfant un ou deux jours par mois, et cela peut être intéressant de maintenir le lien, ne serait-ce que pour conserver un ancrage à l’avenir. Il faut apporter des nuances, car cela dépend beaucoup de la manière dont les parents ont envie de faire vivre ce lien. Et cela dépend, surtout, de l’intérêt de l’enfant, de ce qui est bénéfique pour lui, dans sa reconstruction. Nous sommes bien en présence du cas par cas, du un par un.