Pour le psychologue anglais John Bowlby , l’instinct qui conduit un nouveau-né à solliciter sa mère n’est pas la recherche de nourriture mais une quête de protection. Ainsi, selon le père de la théorie de l’attachement, pendant la première année de la vie, la figure d’attachement fonctionne, en principe, auprès d’un tout-petit comme une source de réconfort et une base de sécurité pour l’exploration. Dès le plus jeune âge, ce lien d’attachement se solidifie, en fonction de la qualité, de la fréquence et de la stabilité des soins qu’il reçoit. Il permet à l’enfant d’explorer son environnement librement, en sachant que son parent veille sur lui et en ayant la certitude que la relation va persister au-delà de la séparation.
Quelques années plus tôt, Donald Winnicott, pédiatre et psychanalyste, avait attribué à la mère un rôle fondamental dans la construction psychosomatique de son bébé. Il reliait l’angoisse la plus primitive avec le fait d’être porté de manière non sécurisante (holding : l’art de porter physiquement et psychiquement le bébé ; handling : la manière d’être concrètement en contact avec le bébé). Il donnait ainsi corps à une figure essentielle dans l’histoire de chacun d’entre nous d’un être « suffisamment bon » pour nous porter, nous supporter, dans tous les sens du terme. Dans cette lignée, les observations expérimentales de la psychologue canadienne Mary Ainsworth confirment qu’un enfant peut explorer, tenter des aventures loin de sa base de sécurité, c’est-à-dire de sa mère, uniquement si sa mère a pour lui un effet sécurisant.
L’attachement sécure remplit la condition suivante : « Je suis en sécurité car je sais que je peux compter sur ma figure d’attachement et lui faire confiance ». « L’enfant qui a pu développer un lien sécure s’ouvre avec facilité et n’a pas peur de nouvelles expériences. Il met de côté le danger et peut se concentrer totalement sur ces nouvelles expérimentations et ainsi développer ses compétences. Un cercle vertueux se construit. Ces nouvelles compétences augmentent sa confiance en lui, son estime grandit. Petit à petit, il peut intérioriser le sentiment de sécurité que lui ont donné ses figures d’attachement, tout en sachant au fond de lui qu’il peut toujours compter sur ces personnes qui prennent soin de lui », précise Boris Cyrulnik , neurologue et psychanalyste qui a travaillé sur la petite-enfance (attachement de l’enfant, besoins émotionnels, conséquences de l’absence de la mère ou de la personne de référence dans les premières années de la vie de l’enfant…).
Au contraire, l’attachement insécure naît de cette appréhension : « Je ne me sens pas en sécurité car si j’ai un besoin ou si je suis en danger, je ne suis pas sûr que ma figure d’attachement m’aidera. Je ne peux pas lui faire confiance ». Les travaux menés dans les orphelinats de Roumanie et Bulgarie à la fin du XXe siècle ont montré que sans présence humaine auprès de lui, un enfant qui était sain biologiquement et génétiquement devenait totalement malade de cette privation d’autrui.
« L’isolement social et affectif provoque des dégâts neurologiques chez les enfants abandonnés », poursuit-il. Et le Dr Bertrand Lauth, pédopsychiatre, au CHU de Reykjavik de préciser : « Les troubles de l’attachement sont l’expression d’une construction psychique particulière que ces enfants ont dû développer pour essayer de pallier les effets d’une expérience traumatique ». Ce qui caractérise l’histoire tragique de la plupart des enfants placés. Par trouble de l’attachement, on entend la rupture dans le lien mère-enfant, surtout si celui-ci intervient avant l’âge de 3 ans.
Suzanne Masson, fondatrice d’ACTION ENFANCE*, comprend très tôt l’importance de l’attachement dans le développement de la personnalité. En 1957, elle note « un enfant dès l’âge de 3 mois ne peut se développer normalement sans amour maternel, l’attachement à la mère, le lien entre la mère et l’enfant est donc fondamental. Tout changement, toute séparation, même momentanée, sont des choses qui laissent sur les tout-petits des traces ineffaçables sur leur santé mentale et émotionnelle, qu’ils garderont même à l’adolescence et à l’âge adulte. L’âge le plus délicat étant de 4 à 14 mois, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le besoin de proximité affective concerne donc également les nourrissons. Elle évoque « un anéantissement progressif et dès les premiers mois, de la personnalité, de l’intelligence, de la sensibilité, de toutes les facultés qui, de ces petits, devront faire des hommes ».
Cette conviction, étayée par des revues scientifiques (sur le développement de l’enfant, la théorie de l’attachement par exemple, l’attachement parent enfant ou encore les comportements d’attachement et la qualité de l’attachement) et l’expérience, précèdera de peu la création du premier Village d’Enfants et d’Adolescents, dans lequel des « mères » prennent en charge le quotidien des enfants et tout particulièrement des fratries.
*Initialement association Notre Maison, devenue Mouvement pour les Villages d’Enfants en 1958, puis Fondation ACTION ENFANCE, reconnue d’utilité publique en 2006.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter notre dossier “Compter pour, compter sur”.
Consulter le dossier en ligne