Une enquête de l’INED (Institut national d’étude démographique) met en évidence que 40% des personnes sans domicile fixe en France sont des personnes ayant été prises en charge par la protection de l’enfance. Une surreprésentation qui démontre bien l’importance du capital social pour la construction de l’avenir de ces enfants.
Même si le capital social ne peut pas être considéré comme seule cause de ces situations, il n’en demeure pas moins l’un des facteurs clé de l’isolement et la précarité des jeunes sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance, tout autant que leur vulnérabilité financière. D’autant que ces jeunes souffrent déjà d’un déficit de capital social avant et pendant leur placement, avec de multiples ruptures, qui renforcent l’isolement.
Pierre Bourdieu, un sociologue français, a défini une nouvelle façon d’aborder la notion de Capital en sociologie qui ne se réduit pas à des ressources matérielles (capital économique), mais à laquelle il faut ajouter celle de capital culturel (savoirs, diplômes, culture générale, savoir vivre et savoir être), social et symbolique (reconnaissance sociale, marque de prestige).
Plus précisément, le capital social en sociologie est défini comme « l’ensemble des ressources réelles et potentielles liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées de connaissance et de reconnaissance mutuelles ». Il est essentiel à un individu pour réussir dans sa vie personnelle et professionnelle. La qualité de ce réseau se mesure alors aussi bien en termes de quantité que d’importance (experts, spécialistes…). Le capital social vient donc enrichir le « rendement » du capital économique et/ou culturel.
Le défaut de capital social n’est pas systématiquement perçu comme un problème central et est régulièrement rendu invisible pendant toute la durée du placement. Cette invisibilisation s’explique notamment par le fait qu’il est difficile de se dire qu’un enfant est isolé alors qu’il va à l’école, qu’il est accueilli dans une structure collective et accompagné par de nombreux professionnels. Pourtant, au moment de la fin de prise en charge, qui correspond également au moment de l’insertion professionnelle et sociale – ou de passage à l’âge adulte – la question du capital social est d’autant plus déterminante que le capital économique fait défaut pour la plupart de ces jeunes. Dès lors, trouver un logement, un emploi, une formation, ou pouvoir compter sur le soutien financier, moral, émotionnel de quelqu’un en cas de besoin est crucial et peut changer les conditions de vie de ces jeunes du tout au tout. La réussite scolaire n’est pas le seul facteur permettant de sortir des inégalités sociales, le milieu social d’origine non plus. Les rapports sociaux sont primordiaux dans la construction de chaque individu.
Le défaut de capital social augmente les difficultés de ces jeunes et constitue un déterminant des inégalités au début de l’âge adulte. L’isolement social, renforcé par la crise sanitaire, accélère les conséquences de la précarité économique et produit de l’exclusion.
Le capital social favorise la prise d’autonomie en offrant des ressources et des repères supplémentaires. La Fondation accompagne des enfants et des jeunes pour la plupart dépourvus d’appui familial. Ils sont privés de ce réseau primaire, familial et amical et peinent à intégrer des groupes sociaux. Lorsqu’ils quittent la Fondation, entre 18 et 21 ans, c’est un effort supplémentaire qui leur est demandé pour nouer ces relations et s’insérer. D’où l’intérêt du dispositif ACTION+. D’où l’intérêt du parrainage et de toutes les initiatives qui sont prises dans les Villages d’Enfants et d’Adolescents pour favoriser assez tôt la construction de relations affectives et amicales, pour les aider à s’intégrer socialement, avec cette notion de proximité qui est aussi gage de durée. Au-delà de l’insertion professionnelle, le fait de pouvoir nouer une relation affective durable avec d’autres enfants de leur âge, avec des pairs, dans leur ville, dans leur quartier, est essentiel. La socialisation les aide à se construire, à voir en miroir comment évoluent d’autres jeunes qui ne sont pas dans leur situation particulière. Cela produit de la confiance en soi, importante pour l’estime de soi, pour s’insérer dans un projet, avoir de l’ambition et envisager l’avenir.
Quand j’ai retrouvé mon frère en arrivant au Village d’Enfants et d’Adolescents de Soissons, nous pouvions enfin vivre ensemble. On avait ”notre” maison et on partageait de bons moments avec une autre fratrie. C’était vraiment plus humain. Les éducatrices étaient auprès de nous nuit et jour, pour nous épauler. On partait en vacances ensemble. Ce sont des souvenirs heureux. J’étais invité de temps en temps chez des amis du collège et j’ai eu la chance de rencontrer leurs parents, très bien éduqués. C’était une source de savoir dans de multiples domaines, aussi bien intellectuels que culturels. Cela m’a marqué, j’ai voulu le reproduire dans ma vie. J’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur mais quand on n’a pas de réseau, il n’est pas simple de trouver un logement avec une indemnité de stage. À ce moment encore, j’ai pu compter sur ACTION ENFANCE qui m’a soutenu. Aujourd’hui, je travaille dans le conseil, j’ai un appartement, une vie normale.