3 questions à Clémence Dayan, psychologue clinicienne, maître de conférences à l’université de Paris-Nanterre

Comment la fratrie devient-elle une ressource pour l’enfant ?

Pour que la fratrie devienne une ressource, il faut que l’enfant puisse maîtriser les pulsions générées par la rencontre avec l’autre, notamment les pulsions agressives. Apprendre comment vivre ensemble n’est pas inné. La régulation du lien est une fonction parentale. Elle est indispensable pour que la fratrie soit sécurisante et devienne un lieu de ressource. Si les parents n’ont pas su préserver les enfants de cette rivalité, ces derniers risquent de développer des relations sans filtre où ils ne savent pas être en lien les uns avec les autres : parfois, cela s’exprime par trop de collage ou, au contraire, énormément de conflit. Cette situation insécurisante, où les enfants n’ont pas appris à vivre ensemble, est fréquemment observée en Protection de l’enfance. Mais la situation inverse où l’on voit que cette fonction ressource « Le lien fraternel appartient aux enfants » fonctionne parfaitement est également présente, et c’est bien là l’intérêt de placer ensemble les frères et sœurs.

Est-ce qu’une fratrie qui retrouve un cadre, à la faveur du placement, peut également renouer avec un fonctionnement apaisé ?

Oui, et c’est tout le sens du placement conjoint : réinstaurer les conditions nécessaires pour que la fratrie ait cette fonction ressource. Les liens fraternels sont très évolutifs mais aussi très malléables. On peut faire
bouger ces modalités relationnelles, réinstaurer quelque chose de plus sécurisant. Par ailleurs, plus le regroupement intervient tôt dans la vie des enfants, plus il y a de chances que le lien se mette en place. D’où l’importance de la corésidence, du quotidien partagé. Toutefois, regrouper des préadolescents au nom du placement en fratrie sans qu’ils aient préalablement partagé des dimensions de vie, de culture, d’histoire, c’est s’exposer à des difficultés. Mais c’est aussi un pari que l’on peut faire. Cela montre bien
que le lien fraternel appartient aux enfants.

Dans quel cas, alors que l’on prône le placement en fratrie, la séparation peut-elle être bénéfique pour les enfants ?

Lorsque le placement a été décidé suite à des violences familiales, parfois il existe aussi des violences entre enfants. Mais au-delà de ces violences entre frères et sœurs, vivre ensemble, partager le quotidien peut être trop difficile à vivre. Certaines fratries pourront se sentir plus sécurisées en se tenant à distance tout en conservant des interactions qui soutiennent le lien et qui permettront peut-être que la fratrie soit une ressource plus tard. Des adultes qui témoignent de leur parcours de placement peuvent dire que si vivre ensemble était trop difficile dans leur jeune âge, leur relation s’est transformée avec le temps en une ressource positive. En outre, pour se sentir frères et sœurs, il faut pouvoir s’identifier, se sentir un peu pareils. Parfois, les enfants ne comprennent pas le sens de ce placement avec des pairs, parce qu’ils ne
se connaissent pas, fussent-ils frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs. Ce qui est très intéressant dans les Villages d’Enfants et d’Adolescents, c’est cette souplesse apportée par les maisons et les différents dispositifs, grâce auxquels les enfants peuvent être à la fois éloignés pour que chacun puisse se reconstruire, et proches pour pouvoir se rencontrer, être en interaction et entretenir un lien.

Grandir avec ses frères et soeurs : un besoin

Dans nos Villages d’Enfants et d’Adolescents, frères et sœurs grandissent ensemble sans risquer d’être séparés. Ce maintien des liens favorise leur reconstruction.