Bien qu’apparus il y a près de 80 ans et répertoriés dans le fichier national des établissements sanitaires et sociaux, les villages d’enfants ne font pas l’objet d’une définition précise. Les quatre fondamentaux sur lesquels ils reposent – accueil de type familial, en fratrie, soutien d’une équipe pluridisciplinaire, architecture spécifique – sont pourtant clairement identifiés et identifiables.
Nés dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, les villages d’enfants constituent un concept unique d’accueil des enfants protégés : la possibilité de réunir des fratries dans une maison où le quotidien ressemble le plus possible à celui d’une famille. Lorsque Suzanne Masson, qui avait créé une première maison dans laquelle elle a accueilli vingt-sept enfants, jusqu’à dix-sept en même temps, repère les travaux de Mère Imelda aux Pays-Bas (voir encadré), elle trouve la clé qui lui manquait. Soixante-six ans plus tard, les quinze Villages d’Enfants et d’Adolescents de la Fondation répondent toujours, dans leur implantation générale, à ces grands principes : accueillir les fratries dans un cadre qui recrée une vie familiale. L’autre grand principe auquel ACTION ENFANCE ne déroge pas : « Le système des villages doit permettre de considérer chaque enfant en lui-même, d’après ce qu’il a vécu, suivant ce qu’il est dans l’instant. Il doit être pris en charge par deux ou trois personnes qui vont s’efforcer de le comprendre, de le connaître, de répondre à ses besoins ». La modernité de ces propos fait écho à ce que la Fondation a toujours défendu tout en s’adaptant aux évolutions de la société.
Le Village, c’est un peu ma famille. Sans lui, c’est sûr, je n’en serais pas là. J’en garde un souvenir exceptionnel.
Offrir à chaque enfant un quotidien qui ressemble à celui d’une famille, c’est le premier engagement d’un village d’enfants. Ce pilier repose sur la présence continue, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, d’éducatrices/teurs familiaux qui vivent au quotidien avec les enfants et sont à l’écoute des besoins de chacun. « Quatre adultes se relaient de semaine en semaine. Cela apporte une stabilité, des repères affectifs qui aident les enfants à grandir. Nous savons que certains seront là jusqu’à leur majorité », note Maura Deki, éducatrice familiale au Village ACTION ENFANCE d’Amboise. Ici, pas de dortoirs, ni de réfectoires. Pas de veilleurs de nuit. Les maisons accueillent six enfants, accompagnés par deux binômes d’éducatrices/teurs familiaux. Celui qui endort les enfants est aussi celui qui les réveille, prépare leur petit déjeuner, les accompagne à l’école. Les repas sont pris ensemble. Chaque enfant a sa chambre qui préserve son intimité. On retrouve, dans cette conception de l’accueil de type familial, quelque chose de très domestique. « Le quotidien est éducatif. Vivre avec les enfants est éducatif. C’est un point fondamental de notre projet », insiste Nadia Rabat, directrice du Village d’Enfants et d’Adolescents de Bréviandes. Dans ce quotidien partagé, bien d’autres choses se nouent. « Les enfants sont à la recherche d’un lien de confiance, ils ont besoin qu’on les rassure, qu’on leur donne de l’affection. Mon rôle est, naturellement, de permettre l’attachement », relève Romain Casses, éducateur familial au Village de Villabé. À la Fondation ACTION ENFANCE, les éducatrices/teurs familiaux rédigent et suivent le projet pour l’enfant en relation avec l’Aide sociale à l’enfance, sont en charge du lien avec les parents, préparent les rendez-vous avec le juge et accompagnent les enfants lors des audiences. « Il s’agit d’un accompagnement très intégré, où les éducatrices/teurs familiaux remplissent toutes les fonctions éducatives et sociales. Ils sont le seul référent de l’enfant, tout en bénéficiant du soutien d’une équipe pluridisciplinaire. Ils sont dans la suppléance et non dans la substitution parentale. C’est une garantie qu’offre notre institution », relève Sophie Perrier, directrice adjointe de la direction Innovation, appui et qualité d’ACTION ENFANCE. « Notre projet repose sur la volonté de produire de l’ordinaire pour ces enfants qui ont souvent vécu l’extraordinaire. Leur cadre de vie doit ressembler, dans toute la mesure du possible, au quotidien d’une famille », souligne Marc Chabant, directeur du Développement d’ACTION ENFANCE.
L’autre intuition fondatrice des villages d’enfants est l’accueil de fratries. Ne pas ajouter la douleur de la séparation d’avec ses frères et sœurs à celle d’avec ses parents, réelle, même quand les parents sont maltraitants. Cela a toujours résonné comme une évidence pour Suzanne Masson et la Fondation. Accueillis ensemble dans une même maison – sauf si les relations au sein de la fratrie ne le permettent pas en raison de l’histoire familiale – les frères et sœurs grandissent ensemble. Ils se forgent ainsi des souvenirs communs. Ils sécurisent des liens d’attachement qui seront souvent les plus pérennes et une possible ressource dans leur vie d’adulte, comme l’a établi la recherche-action menée par ACTION ENFANCE. Pour la plupart d’entre eux, vivre avec leurs frères et sœurs a été un pilier essentiel pour grandir, en leur permettant de conserver des repères familiaux. Les professionnels soutiennent et accompagnent donc les relations fraternelles, afin que chaque enfant puisse bénéficier de la protection et de l’identité que lui procure sa fratrie. Tout en l’aidant à développer son individualité. « Car avant toute chose, rappelle Sigrid Hervé, psychologue au Village d’Enfants et d’Adolescents de La Boisserelle, c’est un enfant, en sa qualité de sujet, que nous accueillons dans les Villages d’Enfants et d’Adolescents. Un enfant qui peut appréhender son histoire et le vécu de celle-ci de façon différente de ceux de ses frères et sœurs. » Souvent, dans les villages, des enfants issus de familles différentes se reconnaissent des liens fraternels durables. La vie au sein d’une même maison, entourés des mêmes adultes et relevant des mêmes principes éducatifs, est à l’origine de ce fraternage. Le village d’enfants est une fabrique de liens structurants à bien des égards. Les parents font pleinement partie de la vie des enfants et de la fratrie. Ce travail du lien est mené dans le respect de l’autorité parentale et en application des décisions du juge des enfants. Pour maintenir, voire restaurer, le lien parental tout en veillant à l’équilibre des enfants et de la fratrie, ACTION ENFANCE déploie des services complémentaires aux Villages d’Enfants et d’Adolescents tels que l’Espace de rencontre parents-enfants (ERPE) ou la Maison d’accueil parents-enfants séparés (MAPES). Elle met également en œuvre dans plusieurs départements des services de placement à domicile (PEAD) qui évitent des placements en institution ou sécurisent les retours en famille, en totale synergie avec ses Villages d’Enfants et d’Adolescents.
Lorsque je suis entrée en contact avec la Fondation, j’ignorais tout de l’existence des villages d’enfants. Ma première visite au Village d’Enfants et d’Adolescents de Sablons en tant que nouvelle administratrice d’ACTION ENFANCE a été une véritable révélation. J’ai trouvé la proposition « extraordinaire » au sens juridique du terme. Dès que j’ai franchi le seuil de la maison, j’ai perçu la vie d’une cellule familiale. Je n’ai jamais eu l’impression d’être dans un foyer de l’enfance protégée. Cela ressemblait à une maison classique.
En discutant avec les enfants, j’ai eu l’agréable surprise de voir que leurs revendications n’étaient pas différentes de celles de mon fils : plus d’argent de poche, plus de cadeaux à Noël… Cela confirmait que leurs besoins fondamentaux étaient bien pris en compte. Tout au long de cette visite, j’ai apprécié la présence bienveillante et aimante des équipes éducatives. Alors qu’elles exercent un métier exigeant, je n’avais pas l’impression qu’elles étaient dans leur activité professionnelle mais qu’elles étaient tout simplement dans leur deuxième maison, à organiser la vie quotidienne et à prendre soin des enfants. L’institution était présente sans être pesante.
« Il faut tout un village pour élever un enfant », dit un proverbe africain. Il faut toute une équipe et de multiples compétences pour accompagner un enfant placé. Les Villages d’Enfants et d’Adolescents de la Fondation cherchent à appliquer au mieux ce principe. Toute l’équipe – du directeur d’établissement aux éducatrices/teurs familiaux, en passant par les chefs de service, les éducateurs d’appui, les psychologues, les personnels administratifs, les personnels d’entretien – porte une attention sincère aux enfants. La proximité entre les maisons, le bâtiment administratif ou encore la grande maison facilitent cette relation. « Le directeur ou la directrice de l’établissement sont un peu le papa ou la maman symbolique, dont les enfants attendent qu’il soit un arbitre compréhensif », note Marc Chabant qui ajoute : « L’une des difficultés dans le cadre du placement est d’assurer la fonction mémorielle. Ce sont bien souvent les directeurs de Village et les chefs de service qui jouent ce rôle de gardien de l’histoire des enfants ». Une façon de contribuer à l’inconditionnalité du lien. Le soutien d’une équipe pluridisciplinaire au sein des Villages ACTION ENFANCE se ressent au quotidien. Il est fait de mille et une choses, de conversations, d’entraide et de menus services qui permettent aux éducatrices/teurs familiaux de ne pas se sentir isolés dans la maison. Pour accompagner ces professionnels dans l’exercice de leur métier, original dans le champ de la Protection de l’enfance, la Fondation a mis en place depuis plusieurs années des groupes d’analyse de la pratique. « En plus des réunions d’équipe, ce type d’outil permet de verbaliser, avec le regard du ou de la psychologue, ce que l’on ressent face à une situation donnée, de partager avec le reste de l’équipe les difficultés que l’on rencontre ou de prendre conseil », relève Fabien Garnier, directeur du Village d’Enfants et d’Adolescents des Vignes. Bref, de prendre de la distance pour mieux vivre son métier et de mieux prendre soin des enfants.
Éducatrice familiale au Village d’Amboise depuis deux ans, Maura Deki a découvert le fonctionnement particulier des Villages d’Enfants et d’Adolescents, et notamment le rythme de travail qui nécessite de dormir dans la maison des enfants qu’elle accompagne. « Pour les enfants, la maison est un repère. C’est leur chez eux. On sait que cela leur apporte de la stabilité, alors on organise notre vie privée en fonction de ce rythme de travail. Cela permet à ces enfants, qui ont souvent un trouble de l’attachement en raison de leur histoire, d’être plus sereins. » Deux binômes d’éducatrices/teurs familiaux s’y relaient selon un planning dont les enfants maîtrisent toutes les subtilités. Cette organisation oblige à travailler sous le regard de l’autre. Pour garder à la vie quotidienne et à l’éducation toute leur cohérence, les éducatrices/teurs familiaux s’appuient sur le « projet pavillonnaire », la bible du fonctionnement et des règles éducatives de la maison. « Il faut apprendre à composer avec nos différences et dépasser nos habitudes. Cela passe par beaucoup de communication entre nous. Chacun venant avec sa propre culture, il est indispensable que nous soyons au diapason dans l’intérêt des enfants dont nous prenons soin », conclut Maura Deki.
L’architecture est fondamentale dans l’accueil de type familial qui caractérise les villages d’enfants. « Les maisons que construit ACTION ENFANCE sont conçues pour offrir aux enfants les meilleures conditions de leur reconstruction », analyse Bruno Giraud, architecte et administrateur de la Fondation. « La maison est la coquille qui permet l’accueil de type familial. Elle est ce cocon protecteur qui, ajouté à d’autres, forme en village au sein duquel tout le monde se connaît et peut s’entraider. » L’exigence que la Fondation met dans son modèle éducatif transparaît dans l’architecture des maisons, l’urbanisme de ses Villages d’Enfants et d’Adolescents et leur intégration au territoire. Les maisons sont regroupées, le jardin est clos, marquant la délimitation entre le dedans et le dehors de l’institution. « Les enfants peuvent sortir jouer dans le jardin, circuler dans le Village en toute sécurité », témoigne Fatima Mechrafy, éducatrice familiale au Village d’Enfants et d’Adolescents de Sablons. Dans cet écoVillage, les maisons en bois sont mitoyennes, reliées par un patio. « Cela élargit le champ des possibilités relationnelles pour les enfants. Entre éducateurs, on se voit régulièrement, on se rend des services au quotidien, on s’entraide. » En cela, un village d’enfants est aussi un espace de solidarité, qui permet la multiplication des figures d’attachement. Dans ces grandes maisons familiales, chacun doit bénéficier du meilleur cadre de vie et de travail. Lumineuse et aérée, chaque maison compte sept chambres (une pour chaque enfant et une pour les éducatrices/teurs familiaux), un grand salon convivial et une cuisine qui est, comme dans une famille, le cœur de la maison. « Les enfants s’approprient leur maison, ils personnalisent leur chambre, ils investissent l’espace de vie qu’ils partagent avec leurs frères et sœurs et/ou les enfants d’une autre fratrie. C’est un environnement naturel et chaleureux, dans lequel nous nous sentons bien », conclut-elle.