Plus encore que n’importe quel enfant ou adolescent, les tout-petits ont besoin de repères et de figures d’attachement. Prendre soin de tout-petits représente un fort engagement émotionnel de la part des équipes éducatives, qui doivent en parallèle être présentes pour l’ensemble des enfants. Car ce sont d’abord des fratries qui sont accueillies dans les Villages d’Enfants et d’Adolescents.

« C’était une place au Village ou la pouponnière », s’exclame Sandra Macé, directrice des Villages d’Enfants et d’Adolescents du Loiret. Anis est né alors que sa mère était incarcérée et il n’a que quatre jours lorsque l’Aide sociale à l’enfance (ASE) le confie au Village. « Ses frères et soeurs nous ont été confiés en même temps. Pour nous, il était impensable que ce bébé grandisse loin de sa fratrie. » Si l’accueil d’un nourrisson reste exceptionnel, le nombre de tout-petits (0-3 ans) et de petits (3-6 ans) pour lesquels les juges décident une mesure de placement augmente considérablement. De fait, les enfants et adolescents confiés à l’ASE sont de plus en plus nombreux : +19 % entre 2018 et 2023, y compris les jeunes majeurs. Parmi eux, le nombre des 0-6 ans augmente de 24 % (25 % pour les 0-3 ans).
Dans les Villages ACTION ENFANCE, si la part des 0-6 ans est stable par rapport à 2018 (10 à 12 %), le nombre des 0-2 ans a crû de façon assez spectaculaire. Ils étaient 8 bébés répartis dans différents Villages en 2018. Ils sont 20 actuellement. Et les demandes d’admission de très jeunes enfants de la part des Départements sont de plus en plus fréquentes.

Réunir les fratries

Les tout-petits accueillis par la Fondation sont la plupart du temps fortement carencés et ont un rythme de vie qui ne s’accorde pas à leur âge. Souvent, ils ont subi des maltraitances, des violences extrêmement graves ou ont été témoins d’horreurs indicibles.
Ils sont toujours accueillis dans les Villages d’Enfants et d’Adolescents avec l’intention de réunir ou de ne pas séparer la fratrie. « Au regard de notre Projet, cela n’aurait aucun sens de prendre un bébé tout seul », souligne Sophie Perrier, directrice adjointe de la direction Innovation et amélioration de la qualité de la Fondation. Les aînés sont généralement très inquiets pour les plus petits, que ceux-ci soient restés au domicile familial ou qu’ils vivent dans une autre structure de l’ASE. En témoigne cette autre situation. Deux petites filles – 2 ans et 6 mois – étaient encore au domicile de leurs parents, jusqu’à ce qu’un placement d’urgence soit prononcé par le juge. « Lorsqu’elles ont appris cela, les plus grandes que nous accueillions déjà au Village n’en dormaient plus. Elles étaient terriblement inquiètes à l’idée de ne plus pouvoir voir leurs petites sœurs chez leurs parents. C’était un nouveau traumatisme pour elles ! », témoigne Sandra Macé. La nouvelle que l’enfant de 2 ans allait les rejoindre a été un soulagement immense. Avec beaucoup de bienveillance, l’aînée (13 ans) a préparé le doudou et fait des recommandations aux éducatrices familiales. La famille d’accueil, à qui les deux petites avaient été confiées en urgence, a accepté de garder le bébé jusqu’à l’ouverture du Village d’Enfants et d’Adolescents de Tigy. En attendant la réunion de toute la fratrie, les rencontres sont régulières. Accueillir ces sœurs ensemble dans une même maison, en dépit de leur grand écart d’âge, ce sont des traumatismes en moins et des chances en plus de pouvoir compter les unes sur les autres dans la vie.

« Une opportunité pour de très jeunes enfants »

Emmanuelle HOCHEREAU Directrice Générale de l’UDAF 92, administratrice d’ACTION ENFANCE, membre de la commission communication

« ACTION ENFANCE accueille de plus en plus de jeunes enfants au sein de ses Villages. Les raisons de cette augmentation des placements des tout-petits est multifactorielle mais, à l’heure actuelle, il y a une prise de conscience accrue des situations de négligence et de maltraitance. La campagne des « 1 000 jours », action de prévention publique lancée en 2018, a pour objectif d’anticiper précocement ces situations de fragilité pendant les premiers mois et années de vie des enfants car ce cycle de vie est crucial pour leur développement, leur bien-être physique/psychologique et leur sécurité. Plusieurs études de neurosciences ont notamment démontré que cette période influe considérablement sur le fonctionnement du cerveau qui est très réceptif chez les tout-petits : de fait, les expériences négatives, le stress, les privations, les maltraitances, etc. peuvent avoir des conséquences graves et durables sur leur croissance, leur avenir, leur vie d’adulte.
Notre accueil de type familial dans de petites maisons, en présence de professionnels à l’écoute, au sein d’un Village où le tout-petit maintiendra ses liens avec ses frère(s) et sœur(s) est une opportunité pour un jeune enfant de répondre à l’ensemble de ses besoins d’apprentissage et de développement dans un environnement bienveillant et sécurisant. »

Toute une organisation à adapter

Les Villages d’Enfants et d’Adolescents ACTION ENFANCE ont une habilitation pour des enfants de 0 à 18 ans. Mais l’accueil des tout-petits au sein d’une maison nécessite une forte préparation et l’adhésion des éducatrices/teurs familiaux. Un tout-petit bouleverse le quotidien de la maison. Cela passe notamment par l’acquisition d’un mobilier adapté, du matériel de puériculture, des jeux et jouets de premier âge. Dans le cas d’Anis âgé de 4 jours, le lit bébé a été placé dans la chambre des éducatrices familiales. « Personne n’aurait imaginé faire différemment. Cela représente un réel engagement de leur part », souligne Sandra Macé. Parfois, un lit est ajouté dans la chambre d’un frère ou d’une sœur, pour sécuriser le benjamin. Les autres enfants de la maison doivent eux aussi s’adapter. « Petits et grands n’ont pas les mêmes rythmes, pas les mêmes horaires, et bien sûr, pas les mêmes besoins. Il faut élaborer de nouvelles règles, concernant le bruit pour respecter le sommeil du bébé, les écrans dont les petits doivent être tenus éloignés. Les ados doivent surveiller leur langage et leur comportement », insiste Florence Tagand, éducatrice familiale au Village d’Enfants et d’Adolescents de Monts-sur-Guesnes, qui s’occupe d’une fratrie de quatre enfants, dont le plus petit, Maël, avait 2 ans lorsqu’il est arrivé. Cela questionne l’éducation, ce que l’on autorise aux uns et pas aux autres, en fonction de leur âge. C’est parfois source de conflit. « Il faut veiller à préserver une vraie place aux plus grands. À rester disponibles pour eux », complète Isabelle Brodeau, éducatrice familiale. Il faut continuer à prêter attention à chacun.

Emmanuelle GILBERT Psychologue du Village d’Enfants et d’Adolescents d’Amilly

« Il faut savoir répondre aux demandes spécifiques des tout-petits et accepter de devenir une figure
d’attachement »

Une extraordinaire plasticité cérébrale

Le petit Théo dont prend soin Isabelle Brodeau, depuis ses deux ans et demi, a toujours été extrêmement veillé et se révèle déjà très autonome sur bien des aspects du quotidien. « On sentait que des valeurs avaient pu être transmises aux enfants même si les parents étaient défaillants. Ses progrès sont incroyablement rapides. Il est très impressionnant », note-t-elle. Maël qui, comme ses frères et sœurs, a souffert de carences ayant généré des troubles alimentaires graves et bien d’autres déficiences est arrivé avec beaucoup de retards de développement. « À deux ans, il ne disait pas un mot, ne savait pas marcher, n’acceptait pas qu’on le touche. Après un mois dans notre maison, grâce aux stimulations de notre part et de celles de ses frères et sœurs plus âgés, il a commencé à parler, est passé du quatre pattes à la marche. C’est aujourd’hui, un petit garçon qui a révélé de belles capacités. Il a pu faire son entrée à l’école maternelle et le fait d’être avec d’autres enfants l’a beaucoup aidé. Pour lui, le placement a été une libération », commente Florence Tagand. Edwige Marchand et Emmanuelle Gilbert, psychologues des Villages d’Enfants et d’Adolescents du Loiret le confirment : « Les tout-petits ont une plasticité cérébrale extraordinaire : ils prennent tout ce qu’il y a à prendre. Lorsqu’un enfant retrouve des repères, des rythmes réguliers, une alimentation équilibrée et adaptée à son âge, bref, un environnement sécure, il peut créer un lien affectif. Les éducatrices familiales qui prennent soin de lui au quotidien deviennent des figures d’attachement salutaires. Avant 5 ans, tout est encore possible. Les retards peuvent être rapidement comblés. Aucun diagnostic concernant leurs capacités cognitives ou émotionnelles n’est définitif. Ils n’en finissent jamais de nous surprendre ! » Grâce aux neurosciences, nous savons que le cerveau d’un nouveau-né dispose déjà de toutes les compétences nécessaires pour se développer. Il a, pour cela, besoin d’un environnement bienveillant et de stimulation : sentir la tendresse d’un adulte, être le centre d’une attention, faire ses expériences, jouer, apprendre, être encouragé… Il est désormais avéré que jusqu’à l’âge de 5 ans, plus l’enfant vit d’expériences, plus il crée de circuits neuronaux et meilleure est sa maturation cérébrale. Et, fort heureusement, cela se poursuit bien après l’âge de 5 ans quand l’enfant retrouve un environnement stable, bienveillant, stimulant, propice aux nouvelles acquisitions. Les adultes ont une responsabilité décisive dans le développement du cerveau des enfants.

Témoignage

Marie 46 ans trois enfants, assistance maternelle

J’avais 8 mois quand je suis arrivée au Village d’Enfants et d’Adolescents de Cesson, où j’ai rejoint mes frères et ma sœur aînés ainsi que quatre demi-sœurs. Nous avons été accueillis dans la même maison, à des dates différentes, et avons été élevés par la même éducatrice, Suzanne. Je la considère comme ma mère. Elle est pour nous la grand-mère de mes enfants. »

Sécuriser aussi les éducateurs

Florence Tagand, diplômée éducatrice de jeunes enfants, a demandé dès son recrutement
à travailler avec les plus petits du Village. Mais pour nombre de jeunes éducatrices/teurs familiaux, le soin et l’attention à apporter à un tout-petit peuvent sembler insurmontables. « Il est nécessaire de s’assurer que l’équipe a la maturité et la compétence nécessaires pour prendre soin d’un nourrisson. Y compris lorsque la dette de sommeil s’alourdit à cause des multiples réveils nocturnes », relève Sandra Macé. A
fortiori lorsqu’il s’agit d’un nouveau-né, comme le petit Anis. « Au regard de la multiplication de ces situations, cela nous amène à rechercher des profils de spécialistes de la petite enfance (assistantes maternelles, auxiliaires de puériculture, éducatrices de jeunes enfants), mais aussi des maîtresses
de maison pour alléger le quotidien. » Heureusement, une réelle solidarité se met en place au sein des Villages. Les jeunes éducatrices/ teurs familiaux pouvant être déstabilisés face à un nourrisson, une formation interne sur le placement du nourrisson a été mise en place dans le Loiret. Douze salariés
y ont participé. Reste que la gravité des faits auxquels ces enfants ont été exposés, les carences, les attachements insécures ou les retards cognitifs exigent de leur part beaucoup d’engagement émotionnel. En outre, lorsque des révélations émergent dans les discussions entre frères et sœurs, celles-ci peuvent être choquantes, même pour des professionnels aguerris. « Notre rôle en tant que psychologue est de mettre en mot ce que ressent l’enfant mais aussi ce que peut ressentir la personne qui s’occupe de lui au
quotidien, quelles difficultés elle rencontre, comment et pourquoi cela se joue de telle manière chez elle. C’est aussi notre rôle de l’aider à prendre du recul, à analyser et comprendre les comportements de l’enfant dont elle prend soin », reprend Edwige Marchand. S’il faut tout un village pour élever un enfant, il faut aussi tout un accompagnement pluridisciplinaire pour aider les équipes éducatives à remplir sereinement leur mission.

Edwige MARCHAND Psychologue du Village d’Enfants et d’Adolescents de Tigy

« Nous avons récemment accueilli dans un des Villages d’Enfants et d’Adolescents du Loiret une fratrie de trois enfants en bas âge. Ils étaient tous très malades. Notre première action a été de réenclencher le suivi médical, en appui du travail quotidien des éducatrices familiales. Angelo, le plus petit des trois, était suivi au Centre d’action médico-sociale précoce . Avant le placement, la pédiatre qui le connaissait projetait déjà une orientation en institut médico-éducatif au regard de ses retards importants de développement. Six
mois plus tard, nous avons refait le point avec l’équipe, réinterrogé tous les partenaires de santé : l’enfant avait rattrapé toutes ses potentialités. Nous avions mis l’accent sur le langage et la motricité, grâce, certes, aux professionnels spécialisés dans ces domaines mais aussi dans l’accompagnement proposé au quotidien. Nous pouvons ajouter que c’est surtout la présence aussi efficace que bienveillante de l’équipe éducative qui a permis que ce petit miracle s’opère. Angelo a pu intégrer une classe maternelle. En ayant retrouvé une relation avec les autres, renoué une socialisation, le langage et le niveau psychomoteur se sont réactivés : dans un environnement sécure, il a pu créer un lien affectif avec ses éducatrices qui, de leur côté, ont donné beaucoup d’affect. »

Grandir avec ses frères et soeurs : un besoin

Dans nos Villages d’Enfants et d’Adolescents, frères et sœurs grandissent ensemble sans risquer d’être séparés. Ce maintien des liens favorise leur reconstruction.