Ce qui plaide en faveur des placement conjoints

L’idée que placer des frères et sœurs ensemble est une bonne chose se nourrit de l’hypothèse que la fratrie peut avoir un rôle de protection, voire même de ressource pour les enfants. Selon la psychologue canadienne Katherine Beauregard, le placement conjoint faciliterait la transition entre famille naturelle et placement, car la fratrie représenterait un élément de continuité sécurisant pour l’enfant en conservant certains repères partagés. Les enfants cherchent d’ailleurs d’autant plus à se protéger les uns les autres que les adultes ont failli dans cette mission fondamentale. « Face à une situation familiale potentiellement traumatisante, la dynamique du groupe fraternel pourra constituer une source de résilience dont les déterminants seront variables selon la position de l’individu qui est directement affecté », analyse Stéphanie Claudel-Valentin, docteur en psychologie à l’université de Lorraine. Ce groupe fraternel est parfois pensé et vécu comme un bloc, qui protège de l’extérieur : des parents maltraitants à l’origine et, par réflexe, des professionnels qui prennent soin d’eux. La fratrie a une fonction structurante. Plusieurs études montrent qu’à l’âge adulte, après le placement, la fratrie peut favoriser la création ou le maintien d’un réseau de soutien naturel, et que la possibilité de recourir à ce réseau dépend de la proximité et de la durée des contacts durant l’enfance et l’adolescence. « La secousse sismique du placement peut être tellement énorme pour un enfant, qu’il est essentiel de tenter de reconstituer quelque chose de l’ordre familial. La fratrie peut en faire partie », note Nadège Séverac, sociologue et chercheuse-conseil. La volonté derrière cette décision est de ne pas ajouter au traumatisme de la séparation d’avec les parents, celui de la dissolution du groupe fraternel. En outre, constituant un groupe primaire de socialisation, la fratrie a également la vertu d’apprendre à vivre dans un collectif et créer des liens avec d’autres personnalités. En ce sens, maintenir les liens entre les membres de la fratrie peut être capital pour l’avenir.
Néanmoins, dans la décision de placement de frères et sœurs ensemble, tous les chercheurs et auteurs d’études soulignent l’importance de tenir compte du passé de la fratrie et des raisons du placement. Ils soulignent la nécessité de faire une analyse fine des spécificités des liens qui unissent ou séparent certains frères et sœurs entre eux.

Stéphanie Claudel-Valentin Docteur en psychologie à l’université de Lorraine.

« Face à une situation familiale potentiellement traumatisante, la dynamique du groupe fraternel pourra constituer une source de résilience ».

Et pourquoi il est parfois nécessaire de séparer les fratries

Décider que la fratrie pourra vivre ensemble dans un même lieu d’accueil, c’est se questionner sur la fonction protectrice et « étayante » du lien fraternel mais aussi sur les maltraitances et les méfaits qui peuvent s’exercer en son sein. Parfois, l’histoire familiale a modifié la nature du lien entre les enfants jusqu’à le rendre pathogène. On ne peut ignorer les violences possibles au sein de la fratrie. Certaines préexistent au placement en raison de la maltraitance et/ou de la dissolution du cadre parental ou en raison de la violence d’un des membres de la fratrie. Les violences au sein de la fratrie peuvent aussi être liées au placement lui-même, quand l’un des enfants a dénoncé des faits et devient une sorte de bouc émissaire pour ses frères et sœurs qui mettent en cause sa loyauté. « Il ne faut pas se laisser aveugler par le mythe d’une fratrie nécessairement bonne et positive », souligne Clémence Dayan. C’est avec cela aussi que les professionnels de la Protection de l’enfance doivent composer. Le cadre contenant et protecteur de l’institution permet le plus souvent d’amener des enfants aux comportements nocifs à progressivement modifier leur mode relationnel. « C’est là toute la beauté des Villages d’Enfants et d’Adolescents qui, grâce aux différentes maisons rassemblées au sein de l’établissement et aux différents dispositifs d’accueil, offrent une grande souplesse dans les modalités d’accueil des fratries », insiste Nadège Séverac. Parfois enfin, vivre ensemble fait trop souffrir. Dans la fonction miroir, de double de l’autre, les enfants se renvoient l’image d’une histoire douloureuse. Partager le quotidien, c’est aussi devoir se confronter à cette histoire familiale qui est la cause du placement.

Placement en fratrie : une inscription récente dans la loi

Rassembler les fratries n’a pas toujours été une priorité en Protection de l’enfance. La loi du 30 décembre 1996 relative au maintien des liens entre frères et sœurs a inscrit la notion de fratrie dans le droit civil en son article 371-5 : « L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S’il y a lieu, le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs ». Cette disposition issue du texte sur l’autorité parentale concerne toutefois davantage les affaires familiales. Ce n’est que récemment, avec la loi du 3 juin 2016, que l’article 375-7 du code civil insère l’alinéa sur le maintien des liens entre frères et sœurs dans le cadre de la Protection de l’enfance.
« Le lieu d’accueil de l’enfant doit être recherché dans l’intérêt de celui-ci et afin de faciliter l’exercice du droit de visite et d’hébergement par le ou les
parents et le maintien de ses liens avec ses frères et sœurs en application de l’article 371-5. » Porteuse d’une vision qui part des besoins fondamentaux de
l’enfant, la loi du 7 février 2022 a réaffirmé le principe selon lequel l’enfant est accueilli avec ses frères et sœurs sauf si c’est contraire à son intérêt (article 5). Une obligation légale qui reste toutefois tributaire de la disponibilité des établissements pouvant accueillir des fratries mais à laquelle les Départements s’efforcent de plus en plus de répondre en créant des structures d’accueil adaptées telles que les Villages d’Enfants et d’Adolescents.