Évoquer l’architecture des Villages d’Enfants, c’est revenir aux origines, à l’intuition de Suzanne Masson. Si l’art de construire a évolué vers un urbanisme qui prend en compte les réalités du placement d’aujourd’hui, les piliers restent intacts. Comme en témoignent les chantiers que la Fondation mène à Sablons et Chinon.
La maison a toujours été au cœur du Projet de la Fondation. Dès l’origine, l’idée de protéger l’enfant en lui offrant la possibilité de vivre une vie ordinaire s’incarne dans une maison où il bénéficie de la bienveillance des adultes. « Produire de l’ordinaire pour ces enfants qui ont souvent vécu l’extraordinaire se traduit par le cadre de vie, qui doit ressembler, dans toute la mesure du possible, au quotidien d’une famille », relève Marc Chabant, directeur du Développement. Un toit, un adulte bienveillant, des frères et sœurs ensemble, c’est le triptyque de l’accueil de type familial d’ACTION ENFANCE.
L’architecture reflète le processus d’accueil des enfants, depuis la chambre jusqu’à l’enceinte du Village, avec des paliers de sécurisation progressifs pour accompagner la construction de l’identité. Lorsqu’il arrive, l’enfant est accueilli dans sa chambre qui doit être intime et sécurisante. « La façon dont le nouveau venu investit cet espace, dont il installe ou pas ses affaires – parfois les effets personnels restent dans la valise pendant des semaines – éclaire sur la manière dont il vit son placement », poursuit Marc Chabant.
Il découvre ensuite les espaces communs de la maison, où il va grandir avec ses frères et sœurs et, souvent, une autre fratrie. Puis il sort dans le Village et se familiarise avec les aires de jeux et le jardin, partagés avec les autres petits résidents du Village. Indissociable de l’accueil de type familial, la maison renvoie à l’image du foyer familial. Ici, ni dortoir ni réfectoire, mais une cuisine dans laquelle l’éducatrice/teur familial prépare les repas, où s’échangent les confidences pendant que l’on écosse les petits pois. Une salle à manger où l’on fait ses devoirs en rentrant de l’école, un salon où l’on joue ensemble, où l’on discute. Des coins plus calmes, des chambres dans lesquelles chacun peut trouver refuge.
« Tout dans la conception d’une maison est question d’équilibres, relève Julie Basset, directrice adjointe au Développement. C’est une maison familiale, mais de grande taille, car elle doit héberger sept personnes, avec autant de chambres individuelles. C’est un endroit où cohabitent enfants et éducateurs familiaux, ces derniers y travaillant. Chacun doit bénéficier du meilleur cadre de vie et de travail. Il faut enfin penser très finement à l’équilibre qui consiste à assurer la sécurité des enfants sans leur donner le sentiment de vivre sous surveillance. »
Pour s’assurer de construire l’environnement le plus fidèle à son Projet, la Fondation a confié à un architecte urbaniste, Luc Vilan, le soin d’analyser l’architecture et l’urbanisme de trois Villages d’Enfants réalisés ces dernières années. Maisons de plain-pied ou à étages ? Chambres individuelles ou partagées ? Aménagement des chambres intégré ou personnalisable ? Possibilité aux voitures d’entrer dans le Village ou obligation de stationner à l’extérieur ? Implantation de la grande maison au centre du Village ou à l’entrée ? Éclairée par cette étude et les retours d’expérience des équipes éducatives, la Fondation a défi ni les règles qui s’appliqueront aux futures constructions. Désormais, une chambre individuelle est prévue pour chaque enfant, sachant que deux d’entre elles peuvent être communicantes si cette proximité est bénéfique pour les enfants. La cuisine est ouverte sur le séjour. Cohérente avec les nouveaux modes de vie, cette configuration permet à l’éducatrice/teur familial de garder une vue d’ensemble sur le séjour pendant la préparation des repas.
Lieu de vie des enfants, la maison dans son environnement est aussi le lieu de travail – et de vie temporaire régulier – des trois ou quatre éducatrices/teurs familiaux qui se relaient à leurs côtés. Dans le souci de préserver leur sphère intime, les éducateurs disposent d’une chambre communiquant avec une salle de bains et des sanitaires privatifs ainsi que d’un bureau séparé. « Nous voulons offrir un meilleur confort de vie aux éducatrices/teurs familiaux car nous sommes convaincus que bien vivre influe sur la qualité de leur travail auprès des enfants », énonce Bruno Giraud, architecte et membre du bureau de la Fondation.
Construites pour durer plusieurs décennies, les maisons doivent également pouvoir évoluer à mesure que les enfants grandissent. Les pièces sont conçues pour changer de destination. « Nous souhaitons que les possibilités d’aménagement restent ouvertes. Les enfants placés ont rarement la main sur les décisions qui les concernent. Dans leur chambre, il est important qu’il leur soit au moins permis de choisir l’emplacement de leur mobilier et d’agencer la pièce comme ils le désirent », ajoute Julie Basset.
À ces invariants qui constituent désormais le cahier des charges fonctionnel présenté par la Fondation lors des concours d’architectes, s’ajoute tout ce qui fait qu’aucun Village d’Enfants ne sera jamais identique à un autre : le territoire dans lequel il s’inscrit, l’harmonie visuelle avec le bâti existant dans la commune, la forme et la taille du terrain qui contraint le plan masse, etc. « Nous construisons nécessairement sur mesure et c’est pourquoi nous faisons toujours appel à un architecte », souligne Marc Chabant.
Nous abordons un tournant en matière de conception de nos Villages d’Enfants.
En charge de la conception du Village d’Enfants de Sablons situé près de Libourne en Gironde, Vincent Visomblin, de l’agence TLR Architecture, a beaucoup appris lors de sa visite du Village d’Enfants de Cesson. « Nous avons pu nous immerger dans la complexité du projet et comprendre comment on vit et on travaille dans un tel établissement, note l’architecte. Nous avons pris conscience des enjeux de la “nidifi cation” : offrir la possibilité à un enfant de s’approprier son lieu de vie, un espace dans lequel il peut trouver des repères pour se reconstruire. Et nous avons vu l’accompagnement formidable des éducateurs. » Il est alors apparu fondamental à l’équipe d’architectes de travailler le projet à différentes échelles : les liens entre le Village d’Enfants et la commune, l’organisation de la vie au sein du Village, la maison avec ses espaces communs où circulent six enfants et un ou deux adultes, jusqu’à l’échelle de la chambre, espace intime et privé de l’enfant. « En osmose avec la vision éducative d’ACTION ENFANCE, nous avons disposé l’enfant au cœur de la conception », résume Vincent Visomblin. Les espaces sont lumineux et chaleureux. Ils sont pensés pour offrir un véritable confort de vie aux enfants et pour faciliter le travail des éducatrices/teurs familiaux auprès d’eux.
La réflexion que la Fondation porte sur l’architecture de ses Villages d’Enfants passe nécessairement par les dimensions qui l’entourent : la région, la commune, le voisinage.« Les liens sont essentiels pour permettre aux enfants de grandir et l’organisation du Village d’Enfants doit être pensée pour les accompagner dans la durée, en intégrant notamment un espace de rencontre parents-enfants et un appartement partagé dit « de semi-autonomie ».
« Une maison vit au rythme d’âges différents, rappelle Marc Chabant. À l’adolescence, l’accompagnement doit prendre une autre forme pour ne pas être trop pesant et pour aider les jeunes à préparer leur sortie. » Au final, avec ses maisons particulières, ses jardins, ses allées, sa place intérieure, le Village d’Enfants constitue un nouveau quartier de la commune et vit en harmonie avec elle. « Quand on s’implante dans une région, même si ce n’est pas notre vocation première, nous participons également au développement local. L’exigence que nous mettons dans notre modèle éducatif doit transparaître dans l’urbanisme, l’architecture de nos établissements et dans leur intégration au territoire », conclut François Vacherat.
Retrouvez l’article complet dans notre magazine Grandir Ensemble n°108, p.4